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ESTHÉTIQUE ET SOCIOLOGIE


La question des rapports de l’esthétique avec la sociologie avait appelé mon attention, au temps déjà éloigné où j’entrepris d’étudier la vie morale dans les œuvres des dramaturges et des romanciers. Les récents ouvrages de M. Ch. Lalo[1] m’offrent l’occasion d’y revenir. J’ai toujours combattu l’esthétique dite sociologique, en tant qu’elle assigne pour but à l’art la prédication, qu’elle le range sous la discipline de la morale et le réduit au rôle d’un instrument social qui n’aurait pas son objet particulier, ses règles, sa destinée propres. L’art, à mon sens, ne saurait remplir directement cet office ; il ne le peut faire, et ne le fait, que par une voie indirecte. Il est vrai seulement qu’il est une expression de la vie sociale, et qu’il réagit sur elle, à son tour, pour y exagérer, renforcer ou affaiblir certaines tendances.

À la thèse, si brillamment soutenue, de l’art « utile », de l’art « moyen », de l’art « travail », je n’accorde donc aujourd’hui nulle faveur, pas plus qu’autrefois, et je ne reviendrais pas à la question de l’art sociologique, si je la voyais bornée à cette thèse. Mais elle engage un problème autrement intéressant, et d’une solution plus difficile, dont M. Lalo a vu la portée, je veux dire les rapports de la psychologie individuelle avec la psychologie collective.

Tout vient de la société, et tout y rentre. Mais comment l’entendre ? Quelles sont, pour nous en tenir à notre sujet, les conditions sociales de ces formes de la vie que sont les arts ? Voilà le véritable problème, posé en termes concrets, immédiats. À ce point de vue, sans doute, se placent aussi les diverses théories où l’on considère la race, le moment et le milieu. Mais ces théories ne visent que des rapports extérieurs, des conditions d’existence, des moyens ; elles

  1. Voir dans la Revue philosophique, pour son Esquisse d’une esthétique musicale, le compte rendu de M. Dauriac, no d’oct. 1908, et pour son Esthétique expérimentale contemporaine, mon compte rendu, no de janvier 1909.