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Mais il n’est pas nécessaire d’en venir là. Il suffit pour la généralisation émotionnelle d’avoir le facteur constant qu’on trouve dans le groupement d’éléments moteurs communs. Ils sont susceptibles de servir de truchement à la reconnaissance. Leur réintégration expliquerait le caractère vague du sentiment, de l’impression, et son manque d’intensité et de force quand on le compare à l’émotion concrète[1], de même que dans la généralisation cognitive disparaissent les marques de particularité. Je ne vois rien qui oblige à intellectualiser ces éléments sous la relation de temps ou sous toute autre relation pour les rendre propres à jouer le rôle de tonalité émotionnelle générale. Il semblerait, au contraire, qu’ils ne deviennent cognitifs, s’ils le deviennent jamais, que dans le cas où ils sont attribués, par un retour en arrière, à un état psychique, c’est-à-dire lorsqu’ils font partie d’un état éprouvé, et reconnu dans une idée (comme dans l’idée du morceau de musique ou du paysage des exemples ci-dessus). Même lorsqu’on pense que l’impression ou le sentiment général possède un certain caractère synthétique ou formel — c’est le cas du sentiment esthétique, — encore ne peut-on pas nier qu’il y ait sentiment de la forme, que le sentiment même comporte la forme. On peut réellement considérer le sentiment général comme une sorte de forme ou de schéma moteur — une « Gestaltqualität », — sous lequel des émotions spécifiques appartenant à la même classe se réalisent (voir le détail dans Urban, Valuation, its nature and laws chap. v et viii).

Il semble y avoir une difficulté, cependant, lorsque nous en venons avec Witasek à nous demander comment une émotion générale de cette sorte peut être attribuée à un objet extérieur, comme cela se produit en matière esthétique. Comment pouvons-nous découvrir la beauté objectivement dans un objet, si ce n’est en lui attribuant le jeu de l’émotion et du sentiment ? Mais, réplique-t-on, le sentiment réel ne peut pas être ainsi transporté ; il doit donc être transporté idéalement, ou par le moyen d’une image, d’une « idée » de nature cognitive.

La réponse à cette objection est qu’un transport de ce genre ne se produit pas, si ce n’est dans l’analyse réfléchie de la beauté, qui sépare les choses. L’impression spontanée de beauté ne témoigne

  1. Voir Urban, l. c., p. 272 ; et la référence qu’il donne à l’article d’Elsenhans dans la Zeitschrift f. Psychologie, Bd. 24, Hefte 3. 4.