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II

Une autre question intéressante, sur laquelle je voudrais attirer l’attention, est celle du mode de « généralisation » des états affectifs. Comment une impression générale, comment un sentiment général prend-il naissance ? Et comment l’émotion concrète peut-elle se faire jour sous le général ou l’abstrait émotionnels ?

Qu’une généralisation de ce genre existe, les recherches récentes l’ont, je pense, amplement prouvé. La seule théorie soutenable à ce sujet semble être celle qui considère les émotions comme des choses plus ou moins compliquées ou complexes, de la nature de la sensation ou de tout autre nature, susceptibles de revivre à l’occasion sous une forme affective ou représentative[1]. On peut concevoir que ces choses s’unissent dans une sorte d’assimilation ou de fusion analogues à ce qui se produit dans la généralisation cognitive. Naturellement on peut faire ici bien des hypothèses subtiles. Mais je suis prêt à trancher le nœud gordien en appliquant tout de suite une théorie motrice du processus de généralisation, sous une forme dont j’ai usé déjà avec profit et que j’ai appliquée à des problèmes analogues[2].

Si nous admettons, pour prendre les choses en gros, que toute généralisation est la réduction d’expériences analogues à des espèces par l’union ou la synergie des éléments moteurs qui leur sont associés — c’est-à-dire de leurs décharges motrices communes, avec tous les contre-coups organiques qui en résultent — alors la généralisation doit être de même nature en toute matière, en matière affective comme en matière cognitive. Si le percept « cheval » est généralisé par la fusion des processus moteurs communs aux diverses expériences qu’on a eues de divers chevaux, on peut dire la même chose des émotions, — des peurs ou des joies. Une peur comporte des éléments moteurs qui restent les mêmes dans bien des cas différents de peur. C’est pour cela que nous parlons de la peur en général. Véritablement, de tous les états psychiques l’émotion est

  1. Représentative (présentative) est pris au sens de cognitif. Il existe un sens très réel, comme on le montrera plus loin (V), dans lequel la forme de la reviviscence affective est aussi présentative.
  2. Voir mon Mental Development, 1re éd., 1895 ; 4e éd., 1906 (trad. franc., Paris, F. Alcan), chap. xi, § 1. « Le général est une attitude, une attente, une tendance motrice. »