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manquer d’être, de part et d’autre, devinée et sentie ; elle se traduit par une répulsion instinctive.

Il en est de même et a fortiori de l’antipathie morale. Entre Port-Royal et Montaigne, par exemple, il y a un monde, un abîme. Non que les doctrines de Montaigne soient toutes étrangères à Port-Royal et doivent lui paraître choquantes ; si c’était ici le lieu, on montrerait qu’au contraire bien des idées de Montaigne ont fait leur chemin à Port-Royal, sont entrées notamment dans l’esprit de Pascal ; mais c’est Montaigne lui-même, c’est sa personnalité tout entière, c’est son tour d’esprit, sa légèreté d’opinion, d’allure et de style, c’est son impertinence, ce sont ses airs dégagés et mondains, c’est tout en lui enfin qui déplaît et est antipathique aux Solitaires.

M. Ribot fait une remarque fort juste qu’il convient d’étendre et de généraliser. « La foi morale, dit-il, est un puissant générateur d’antipathie. Non la morale théorique et spéculative qui se développe en traités didactiques, mais la morale sentie et se’CtM. Ce fait de violente répulsion peut servir de critérium pour décider si le moraliste qui parle est un simple théoricien ou un apôtre. Ce !a ne revient-il pas à dire que l’objet propre de l’antipathie est. toujours, en dernière analyse, la personne même ? C’est elle qui attire ou repousse. La sentez-vous étrangère à ses actes, à ses paroles, à ses doctrines ? Ses actes, ses paroles et ses doctrines, si répréhensibles qu’ils soient, cessent alors de vous indigner. Vous jugez qu’.ils pourraient être autres, elle restant la même. Vous n’en tenez donc aucun compte. C’est là le secret de tant d’indulgences étranges, jugées scandaleuses. Que de canailleries on peut commettre, en gardant la réputation de bon gardon ! 11 suffit qu’on n’ait pas l’air de sentir ce qu’on fait la légèreté est une excuse. Les actes en effet ne valent que par leur relation avec la personnalité. Certaines personnes au contraire donnent l’impression d’être tout entières en chacun de leurs actes à celles-là on ne passe rien. Il y a ainsi des personnes sympathiques ou antipathiques, d’autres indifférentes. En d’autres termes, il y a des personnes qu’on prend au sérieux, d’autres, non des premières on relève tout et on interprète tout comme indice de la personnalité ; on épluche leurs actes, on scrute leurs intentions, on dénonce leurs tendances et, selon ce qu’elles sont ou ce qu’elles paraissent, on les tient pour amies ou ennemies.