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fondues tour à tour dans leur mouvement sur le terrain des idées… » Et quand Nietzsche croit avoir enfin secoué le joug de l’idée, on sait le lyrisme enflammé de son chant de délivrance.

Essayons maintenant de préciser brièvement les différences qui séparent les deux immoralismes.

L’immoralisme du premier genre est plutôt une thèse psychologique qu’une théorie éthique. Cette thèse est la conclusion d’une enquête menée par des psychologues, par des historiens, par des analystes de la nature humaine qui ont cru constater le peu d’action des idées morales sur la conduite des individus et sur la vie des peuples. L’immoralisme ainsi entendu est une attitude de pur intellectuel qui se désintéresserait volontiers du côté éthique de la question[1].

L’immoralisme du second genre est une théorie éthique. On pourrait dire que c’est une éthique à rebours. Ce n’est plus une attitude de pur intellectuel ; mais de combattif, de révolté et d’insurgé. Quand il lance ses anathèmes contre l’Esprit Prêtre, Stirner a lui-même des gestes d’exorciste. Il hait tellement l’esprit, l’idée et autres entités éthiques, qu’il éprouve le besoin de croire à leur réalité afin de pouvoir exhaler contre elle sa fureur tout à son aise. — Bayle croit si peu au pouvoir de la morale qu’il ne songe pas à s’irriter contre elle. L’attaquer lui semblerait enfoncer une porte ouverte. Stirner et Nietzsche, quand ils attaquent la morale, ont l’air de soulever des montagnes, de soutenir le combat de Jacob avec l’Ange, parfois même de batailler comme Don Quichotte contre des moulins à vent.

L’immoralisme du premier genre, étant une thèse psychologique, comporte des degrés, des nuances et des réserves. Parmi ceux qui le professent, il en est qui accordent à l’éducation et à la morale une influence fort faible, il est vrai, mais non rigoureusement nulle. Mesurer cette influence est un problème de dynamique mentale qui ne se pose pas pour eux. — L’immoralisme du second genre, étant surtout une théorie éthique, a un caractère absolu, — Stirner attaque toute éducation, toute morale. Il cherche à faire le vide absolu dans l’esprit, au nom de l’égoïsme.

  1. Exception doit être faite pour Fourier qui est un tempérament de réformateur.