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pour une fin déterminée, mais par suite d’une nécessité vitale divers éléments d’un même individu ne peuvent en effet opposer indéfiniment leurs réactions propres les unes aux autres ; l’appétition sans cesse combattue se modifie d’autant plus aisément qu’elle est née de l’habitude ; l’adaptation est le fruit de l’opposition qui se transforme peu à peu en conciliation. (Tarde avait fort justement observé ce phénomène dans la vie sociale, puis dans tous les autres domaines de la réalité.) Or l’adaptation spontanée des appétitions les unes aux autres tend à faire de l’activité totale d’un être vivant, un tout systématique ; et la finalité biologique ou psychique, définie par M. Goblot (Revue philos., t. XLVII, p. 636) la causalité du besoin n’implique ni « causalité de l’idée », ni intelligence, ni conscience. L’état affectif, agréable ou pénible, est la conséquence directe de la multiplicité des réflexes et des appétitions. Lorsque des appétitions et les réactions qu’elles entraînent parviennent à se coordonner, une émotion agréable existe au moins en puissance ; elle est confirmée lorsque l’adaptation au milieu semble ou est réalisée momentanément. Lorsque appétitions et réactions ne parviennent pas à s’adapter les unes aux autres, et a fortiori au milieu, l’émotion pénible est constituée essentiellement par la diversité et l’opposition des réflexes et par le trouble ainsi apporté dans l’unité synthétique de l’être. La douleur doit être par conséquent beaucoup plus fréquente que le plaisir chez les nouveaux-nés ; et c’est ce que l’on constate aisément. Inutile d’insister sur l’accord foncier de cette théorie de l’émotion primitive avec les observations qui ont amené Lange et W. James à formuler leur célèbre « théorie physiologique ». La douleur et le plaisir doivent être les premiers phénomènes psychiques clairement conscients. Avant d’être tout « odeur de rose », la statue de Condillac eût dû passer par des alternatives de douleur et de plaisir sans que l’aptitude à connaître se soit encore manifestée en aucune façon. Mais Condillac luimême, en faisant du désir conscient le phénomène-type de l’appétition, s’était condamné à concevoir sa statue comme « existant sans pouvoir former des désirs a. La conséquence fâcheuse de cette conception fut chez Condillac comme chez Hume une théorie inacceptable de l’attention ramenée à ce fait que « la capacité de sentir est tout entière à une impression donnée H (7’~atM des sensations, liv. I, ch. II, § 1).

L’attention est, comme l’ont bien vu après M. Ribot les auteurs i. Voir notamment Les lois de l’imitation, la Logique sociale et L’opposition universelle.