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La science des mœurs se substituera-t-elle à la morale ? demande M. Fouillée Non, répond-il. On ne détruit que ce qu’on remplace. La science des mœurs, qui prétend détruire la morale, ne saurait la remplacer. Par conséquent la morale subsistera. En quel sens, demanderons-nous à notre tour, le mot « morale M est-il pris ici ? S’agit-il de la morale en tant qu’elle essaie de se constituer comme science, ou de la morale en tant qu’elle -formule les devoirs de l’homme, et qu’elle donne une expression abstraite aux injonctions de la conscience ? La science des mœurs, recherche de caractère théorique comme la physique ou toute autre science, ne saurait évidemment viser à détruire la morale prise au second sens. Elle ne peut avoir affaire qu’à la morale dite théorique. La question soulevée est d’ordre purement spéculatif, et elle ne porte que sur l’objet et la méthode d’une science. Quel que soit le parti qui triomphera, la moralité n’est pas intéressée dans ce débat. L’emploi du mot « morale H ne doit pas laisser subsister d’équivoque sur ce point.

Nous ne croyons pas non plus que la science des mœurs ait à « détruire a la morale théorique. Elle n’y prétend pas, et elle n’en a pas besoin. A quoi bon. s’engager dans une lutte qui prendrait nécessairement la forme d’une réfutation dialectique des systèmes de morale, et qui impliquerait l’acceptation de principes communs avec eux ? Il suffit à la science des mœurs de faire voir ce que sont historiquement ces systèmes, comment ils expriment un effort, qui a dû nécessairement se produire, pour rationaliser la pratique morale existante, et de reconnaître le rôle parfois considérable que ces systèmes ont joué dans l’évolution morale des sociétés civilisées. Mais, si elle ne les détruit pas, on peut dire à bon droit qu’elle les remplace. Car elle est vraiment ce que ces systèmes n’étaient qu’en apparence une science objective et désintéressée de la réalité morale.

Pourquoi donc M. Fouillée, et plusieurs autres critiques comme lui, soutiennent-ils que la science des mœurs détruit la morale et ne la remplace pas, alors que nous croyions avoir montré qu’elle la remplace, au contraire, sans avoir à la détruire ? C’est que l’on a peine à accepter l’idée d’une science touchant la réalité morale, qui ne soit pas « une morale analogue à celles qui ont été proposées jusqu’à présent, c’est-à-dire à la fois théorique et normative. Vous voulez que la science des mœurs se substitue à la morale théorique ? Il faudra donc qu’elle procure le même 1. Revue des Deux Mo~M, 1" octobre 190S.