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qui les sépare de la nature. Mais il y a pis. Les mathématiques ne peuvent servir à exprimer une loi expérimentale sans fausser les résultats de l’expérience. Nous le montrerons par un exemple. Imaginons un astronome Y. qui ait découvert une planète et se propose de déterminer son orbite. Dans notre hypothèse, on sait d’avance que cet astre tourne autour du soleil et que son orbite est plane. Pour simplifier encore notre fable, supprimons l’excentricité. En outre quand Y. commence à observer le ciel, les instruments astronomiques sont très grossiers, puis ils se perfectionnent graduellement et assez vite pour atteindre du vivant même de Y. un degré de précision très supérieur. Prenons enfin comme unité de distance l’espace que la lumière parcourt en une seconde. Y. découvre donc sa planète, il la suit, il repère ses positions dans le ciel, et obtient ainsi un grand nombre de points qui sont tous très voisins d’un cercle dont le rayon égale 1000 unités. On publiera que la planète décrit autour du soleil un cercle de rayon 1 000. Puis, grâce à une amélioration des télescopes ou des lunettes, Y. fait des mesures plus précises et constate que les positions de la planète sont très voisines d’une ellipse, et il annonce « Ma planète décrit autour du soleil une ellipse dont le grand axe est de 1.030 et le petit axe de 970 » Quelque temps après, nouveau progrès des instruments, nouvelles mesures de Y. nouvelle proclamation « Ma planète décrit autour du soleil une ellipse dont le grand axe est de 1 02o et le petit axe de 973, et, en outre, cette ellipse présente quelques irrégularités, des creux et des bosses, dont l’emplacement varie ». Alors on ne manquera pas de crier à la faillite de l’astronomie. Comment ? Voici une planète qui décrit un cercle, puis une ellipse régulière, puis une ellipse avec des creux et des bosses ? Pourquoi ne marcherait-elle pas demain en zigzag, et ne ferait-elle pas des 8 après-demain ? On se moquera de la science et de Y. Mais c’est là le moindre mal qui ait pu arriver. Supposons que la découverte dont Y. est l’auteur coïncide avec celle du mouvement des autres planètes. Comme cela se passe au moment où les instruments sont encore grossiers, on trouvera que toutes les planètes décrivent des cercles. Le mouvement circulaire apparaîtra comme une loi du ciel ; le cercle n’est-il pas la courbe la plus simple, la plus parfaite, celle qui convient le mieux à la nature dont l’œuvre aussi est supposée simple et parfaite ? Plus tard, quand on constatera, grâce au progrès des observations, qu’une planète ne se meut pas suivant un cercle, on raisonnera ainsi « Tout mouvement céleste est circulaire, or le mouvement de notre planète n’est pas circulaire, donc il doit être composé de