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SAGERET. LA COMMODITÉ SCtEX’HFIQL’E 43.

mathématiques, au contraire, de telles gradations n’existent pas une loi y est fausse ou vraie sans nuances, parce qu’elle n’a jamais le caractère d’une approximation.

Ici peut se manifester un malentendu qu’il convient de prévenir. Certaines lois mathématiques, dira-t-on, se traduisent par une série convergente, une suite indéfinie de termes dont la somme va toujours en s’approchant d’une limite sans jamais l’atteindre. N’est-ce point là ce caractère d’approximation que nous refusions de reconnaître ? Sans doute, mais à une condition, c’est que la série serve de moyen d’expression à une loi expérimentale. Si l’on reste sur le terrain purement mathématique, la loi, au contraire, ne consiste pas dans un développement plus ou moins long de la série, mais dans l’expression de la formation de ce développement, expression qui, elle, n’a aucun caractère approximatif. Quand on considère par exemple les séries de l’espèce qui nous est la plus familière, elles seront entièrement déterminées pour le mathématicien par le terme général et le rapport général de deux termes consécutifs, c’est là ce qu’il appellera loi, et cette loi ne pourra être que vraie ou fausse sans admettre le moindre à peu près. Il nous paraît donc légitime de conclure que la notion de commodité scientifique entraîne une séparation radicale entre les mathématiques et les autres sciences. Toutefois, en raison d’une atteinte aussi grave aux idées reçues, il convient d’examiner si notre conclusion est justifiée par ailleurs.

On remarque immédiatement que le fait mathématique, l’objet mathématique, existent seulement dans notre esprit. L’univers, où que vous cherchiez, ne vous fournira ni point, ni ligne, ni surface géométriques, parce que nous n’avons pas de sens assez fins, même avec l’aide des meilleurs instruments, pour percevoir un grain de poussière dépourvu de longueur, de largeur, et d’épaisseur, un fil et une feuille de papier auxquels manquent respectivement deux ou une seule de ces dimensions. Les Grecs autrefois pouvaient croire encore que les solides géométriques indéformables étaient des solides naturels ; nous savons aujourd’hui qu’il n’en est rien. Tous les corps solides se dilatent ou se contractent sous l’influence de la température, le milieu où ils sont plongés les attaque chimiquement, et on ne peut les déplacer sans qu’ils éprouvent une altération dans leur forme. Plus nous allons, plus nous voyons d’incompatibilités entre les mondes figés des géomètres et le monde réel que l’expérience nous montre toujours, partout et en tout, comme un perpétuel Protée.

Avant Lobachewsky, rien n’empêchait de soutenir que la géo-