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LÉVY-BRUHL. LA MORALE ET LA SCIENCE DES MOEURS 2& science des moeurs l’implique, ne compromet pas la stabilité de la moralité existante.


Après s’être défendue d’être subversive au point de vue social, et de porter sur la morale « la pioche du démolisseur », il est assez étrange que la conception d’une science des mœurs et d’un art moral rationnel doive répondre à une objection toute contraire. On lui reproche cependant de conduire à « l’impossibilité de procurer ou même de concevoir un progrès social », à « une attitude purement passive et expectante qui laisserait tout au plus subsister la vis niedicatrix Ks<Mr< !6 », bref, à « un conservatisme absolu* 1 ». L’une de ces objections, semble-t-il, devrait exclure l’autre. Si la doctrine tend au maintien indéfini de l’état actuel de la société, comment peut-elle en même temps agir à la façon d’un ferment énergique ou d’un dissolvant ?

Toutefois, en un sens, les deux objections ne sont pas inconciliables. L’affaiblissement de la moralité est une conséquence de la doctrine, qui, selon les critiques, en résultera en fait ; le conservatisme absolu est une attitude que le partisan de la doctrine devrait observer, s’il était fidèle à ses principes. La première objection considère la conscience morale individuelle ; la seconde se rapporte à l’action sociale. Et pourquoi la science des mœurs aboutit-elle ici à une « attitude purement passive et expectante » ? C’est qu’elle subordonne toute intervention dans les faits sociaux à la science de ces faits. Or nous sommes loin d’avoir porté cette science au point qu’il faudrait pour que des applications fussent possibles. Donc, dans l’ignorance où nous sommes encore, et qui peut durer des siècles, la prudence conseille de s’abstenir. Notre intervention courrait risque de produire des effets tout autres que ceux que nous attendons. Puisque l’état de chaque société est, à chaque moment, « aussi bon et aussi mauvais qu’il peut être », le plus sage est de ne rien faire. La doctrine serait ainsi, de ce point de vue, ultra-conservatrice, et, pourrait-on dire, quiétiste. Les auteurs de l’objection oublient, ici encore, que nous nous sommes efforcé, avant tout, de distinguer le plus parfaitement possible le point de vue de la connaissance et le point de vue de la pratique. A leurs yeux, l’urgence de certains problèmes sociaux exige que la science, si elle existe, en fournisse dès aujourd’hui i. Belot, Revue de Métaphysique et de JMo ?’a/f, juillet 1905, p. 586.