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LÉVY-BRUHL. LA MORALE ET LA SCtE~CE DES MOEURS 2i moraux, elle commençait par les dépouiller de ce qu’il y a en eux de proprement moral.

Il est vrai que certaines doctrines philosophiques ont tenté de rendre compte de ce caractère spécifique au moyen de l’association des idées, de l’éducation, de la tradition, de l’habitude acquise, comme elles essayaient, par une sorte de chimie mentale, d’engendrer l’espace en partant d’éléments inétendus. C’était, en un sens, faire disparaître la moralité en l’expliquant. Ces tentatives n’ont t pas réussi, et elles paraissent assez abandonnées aujourd’hui. Elles auraient pu, à la rigueur, justifier en quelque mesure les craintes exprimées par leurs adversaires. C’est à elles surtout que s’adressait la critique de Guyau. Pourtant, même au moment où elles trouvaient faveur, aucune conséquence fâcheuse pour la morale existante était-elle vraiment à redouter ? Il n’y a guère eu d’hommes plus scrupuleux, plus respectueux du devoir tel qu’ils le comprenaient, ou plutôt, tel que leur conscience le leur dictait, que les deux représentants les plus convaincus de cette doctrine, James et John Stuart Mill ; et l’on ne saurait dire que le cercle de ceux qui ont subi leur influence y ait perdu de sa valeur morale. Le contraire serait plutôt vrai. Inconséquence, dira-t-on, et qui ne prouve rien les hommes valaient mieux que leur doctrine. Mais il n’est pas besoin d’invoquer ici une inconséquence. Leur effort, d’ailleurs malheureux, pour « expliquer a le sentiment de l’obligation morale par une théorie associationniste, provenait luimême du sentiment très vif de leur devoir social. Ils se considéraient comme obligés de promouvoir la vérité philosophique de toutes leurs forces, et de substituer des jugements rationnels aux croyances mystiques qui ne se justifient pas logiquement. Et pour expliquer à son tour cette obligation, il suffirait d’analyser, outre le caractère individuel des deux Mill élément qu’on ne peut négliger dans l’examen de cas particuliers, la « réalité morale » de leur temps et surtout l’idéal social qui leur était commun avec l’école de Bentham.

Ces doctrines n’ont donc pas, en fait, des conséquences aussi fâcheuses que leurs adversaires l’ont dit. A plus forte raison ne devrait-on rien craindre de la recherche scientifique qui, procédant par une tout autre méthode, ne risque pas de méconnaître ce qui est spécifiquement moral en l’expliquant. Mais, dit M. Fouillée, avec Guyau, il n’en reste pas moins que la réflexion dissout l’instinct. Il n’est pas sûr que ce soit vrai de tous les instincts. Et le sentiment du devoir ne saurait être assimilé à l’instinct. Il en a sans doute l’impérativité et la spontanéité apparente. Mais, par