Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 62.djvu/15

Cette page n’a pas encore été corrigée

Soit, disent les critiques. Supposons cette science faite, ou du moins suffisamment avancée. Même dans cette hypothèse (que rien n’oblige à accepter dès à présent), elle ne permet pas de constituer une morale. « Ilestsophistique, écrit l’un d’eux de constituer une morale sans finalité. L’auteur de la ~7o ?’a~e et la Science des ~/<rM ?’~ n’a pas réussi à éviter les jugements de valeur et les préférences sentimentales. La connaissance des lois est la condition nécessaire et non suffisante de notre intervention raisonnée dans les phénomènes moraux, »

En premier lieu, l’objection implique que la science des mœurs devra remplir le double office auquel la morale théorique a suffi jusqu’à présent, c’est-à-dire qu’elle devra être à la fois théorique et normative. Mais faut-il répéter qu’elle n’a rien de commun avec un « traité de morale » ? Nous avons essayé de montrer, au contraire, qu’ici comme ailleurs le point de vue théorique, ou l’étude scientifique de la réalité donnée, devait être soigneusement séparé du point de vue pratique, c’est-à-dire de la détermination des fins et des moyens dans l’action ; que, jusqu’à présent, cette distinction, pour des raisons fortes et nombreuses, d’ailleurs faciles à expliquer, n’avait pas été réellement faite en morale ; mais que le temps paraissait venu de l’établir, dans l’intérêt commun de notre savoir et de notre pouvoir. Accordons que l’auteur de l’objection ait raison, et qu’il soit impossible de constituer une morale sans faire appel à des jugements de valeur. Cela ne touche que celui qui veut constituer une morale. Nous n’ambitionnons rien de tel. Le but où nous tendons est tout autre. Nous cherchons à fonder une science qui ait la « nature morale » pour objet, et, s’il se peut, un art moral rationnel, qui tire des applications de cette science. Mais, insiste-t-on, c’est ici précisément que des considérations de finalité, que des jugements de valeur devront intervenir. Comment chercher des applications, sans avoir réfléchi sur les fins et choisi celles que l’on voudra poursuivre ? Pour les sciences de la nature physique, le problème est aussitôt résolu que posé. Aucune hésitation n’est possible. Les sciences médicales servent à combattre la maladie et à protéger la santé. Les sciences physiques et mécaniques servent à domestiquer les forces naturelles et à économiser le travail humain. Mais les sciences de la réalité morale, à quoi les appliquerons-nous ? Une spéculation d’un autre ordre sera évidem- Revue de A !e<a~M et de -Vora~e, juillet 1903.