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et nous avouerons que ce n’est pas en entendre suffisamment le sens que de faire de Dieu une substance pensante qui ne serait unie à aucun corps.

V

Concevoir Dieu comme une Idée pure, et « l’Idée des Idées », comme dit Platon, paraîtra certainement à plusieurs l’équivalent de l’athéisme. Une multitude de personnes voient dans l’idéalisme une doctrine qui, ne reconnaissant comme réels que nos états de conscience, supprime toute vérité objective et aboutit à une sorte de nihilisme. Une telle appréciation peut être exacte jusqu’à un certain point à l’égard de l’empirisme anglais, celui de Hume et de Stuart Mill ; mais l’empirisme anglais n’est pas l’idéalisme, c’en est l’absolu contraire et la négation perpétuelle. Le véritable idéalisme c’est celui de Platon, et l’idéalisme de Platon, qui n’est au fond qu’un commentaire philosophique de la parole « Dieu est Esprit », ne tend en aucune manière à faire de l’Idée une simple conception de nos esprits et par conséquent un objet irréel. Ceux qui ne comprennent l’idéalisme que comme une négation de tout ce qui n’est pas le fait de conscience oublient qu’au moyen âge l’idéalisme se présentait comme un réalisme, et qu’il en avait pris le nom. Et c’est bien un réalisme en effet pour qui sait le comprendre.

Il est des choses qui, si elles n’existent que dans nos esprits, n’existent en aucune manière : ce sont les choses sensibles, représentables par l’imagination, par exemple les centaures et les chimères ou encore les images du rêve. Mais il en est d’autres qui sont réelles sans cesser d’être entièrement idéales, ce sont les conceptions de la raison. Ainsi les vérités mathématiques sont idéales, puisqu’elles sont purement intelligibles, nullement sensibles. Dirons-nous cependant qu’elles ne sont rien de réel quand nous sommes obligés de reconnaître qu’elles sont éternelles, nécessaires, et qu’elles constituent des lois absolues auxquelles est soumis tout ce qui naît et meurt dans le temps et dans l’espace ? Sans doute elles n’existent pas à la manière des choses de l’expérience, et par là même on peut dire qu’elles n’existent absolument pas, parce que si le mot exister a un sens, il signifie ceci : être ou pouvoir être un objet d’expérience, sensible ou psychologique. Ce que nulle expérience n’atteint ni ne peut atteindre n’existe pas, c’est l’évidence même. Donc les vérités mathématiques n’existent pas, mais elles sont, en ce sens qu’il y a en elles de l’être et de l’absolu. Voici par conséquent deux types d’êtres bien différents, qui se réalisent, l’un dans les