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Dieu a été conçu et comment il doit l’être. Nous allons, dans cette étude, découvrir de nouvelles raisons de penser que Dieu n’est que le nom de la justice éternelle en tant qu’en soi elle est vie et pour nous principe de vie.

Dieu me commande, disent les partisans de la vieille conception hébraïque ; et, comme son autorité est souveraine, je suis tenu d’obéir. Soit, mais encore faut-il que l’authenticité du commandement soit certaine. Or quel témoignage ai-je à cet égard ? Dieu ne peut se faire connaître à moi, comme Dieu, d’une manière directe, parce que l’infini ne peut être perçu en aucune manière et par aucune espèce de sens. Abraham, Moïse, Samuel, bien d’autres personnages encore de la Bible, ont été favorisés des révélations divines ; mais ce qu’ils ont vu et entendu c’étaient des signes de la présence de Dieu, et non pas Dieu lui-même. Il leur a donc fallu, par une interprétation, conclure à l’origine divine de l’objet vu ou de la parole. Et quelles raisons décisives pouvaient-ils avoir pour cela ? Est-ce l’affirmation portée par la parole « Je suis le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob » ? Aucune parole ne peut se servir de confirmation à elle-même. Sont-ce les manifestations de la puissance, les prodiges de toutes sortes, les tonnerres du Sinaï ? La puissance n’est pas un signe qui permette de distinguer le bien du mal, et les plus grands bouleversements de la nature n’attestent qu’une force brute : or ce n’est pas comme une force brute qu’il faut concevoir Dieu. Donc je puis toujours suspecter la véracité de la voix qui retentit à mes oreilles, la sincérité du signe qui prétend attester à mes yeux l’ordre divin. Pourtant il est une parole que j’entends fort distinctement, qui me commande avec une autorité si absolue et si certaine à la fois qu’il m’est impossible de douter qu’elle soit la parole de Dieu même. Mais c’est une parole intérieure, une voix du dedans, non du dehors, ma conscience morale, c’est-à-dire ma raison dans son usage pratique : de sorte que, si c’est à la puissance infinie de ses commandements que je dois reconnaître Dieu, ce n’est pas hors de moi que j’aurai à le concevoir existant, c’est en moi-même. Au lieu de m’apparaître comme extérieur et étranger, son être m’apparaîtra comme le fond, l’essence, la vérité idéale du mien. Il sera en perfection ce que je ne suis nécessairement que d’une manière bien imparfaite, raison et justice.

Supposons cependant pour un instant que la volonté divine puisse se faire connaître de nous en sa qualité propre, et que nous puissions savoir enfin que le commandement directement entendu ou reçu par un intermédiaire émane de Dieu même. Ce commandement ne saurait être injuste, il est donc juste assurément, mais com-