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l’idolâtrie ici est flagrante ; car l’idolâtrie ne consiste pas à adorer Bel ou Moloch au lieu d’Iahvé ; elle consiste à adorer un Dieu de pierre ou de bois, quelque nom qu’on lui donne. Or un Dieu dont la justice et la vérité ne sont pas tout l’être, un Dieu qui est juste comme l’eau est fluide, qui est vrai comme le plomb est pesant, fût-il incorporel, est un Dieu de pierre et de bois. C’est un fétiche perfectionné, mais c’est encore un fétiche. C’est pourquoi les Israélites d’avant la captivité adoptaient avec tant de facilité les dieux étrangers. Iahvé était mécontent, ou tardait à accorder ce qu’on lui demandait : on prenait un autre dieu qu’on supposait mieux disposé, le veau d’or des Tyriens, par exemple. Croit-on que des faits pareils eussent pu se produire et se renouveler tant de fois si le culte d’Iahvé, en ces âges reculés, n’avait eu à aucun degré et d’aucune manière le caractère d’une idolâtrie ?

Allons plus loin, et reconnaissons que ce fétiche ne peut être qu’un fétiche malfaisant, tout au moins un être chez qui la justice et la bonté, de même que chez nous, ne sauraient être absolues. En effet, un être qui n’est pas la justice pure a nécessairement une nature. Cette nature a des besoins et des exigences que la justice ne satisfait pas, puisque autrement elle s’absorberait dans la justice et disparaîtrait comme nature ; besoins et exigences qu’il faut pourtant satisfaire à quelque degré, sinon la nature s’anéantit encore. Ainsi le fait d’avoir une nature, et la nécessité de la conserver, mettent fatalement en conflit permanent avec la justice le personnage divin que l’on suppose. C’est pourquoi les peuples voisins et rivaux des Israélites, qui faisaient de leurs dieux des monstres, étaient beaucoup moins dans la vérité, mais beaucoup plus dans la logique, que les Israélites donnant pour apanage au leur la bonté et la sainteté. Sans doute la conception de Dieu qu’apportent les prophètes est plus pure ; mais, là encore, les vices de la conception primitive se retrouvent, bien qu’atténués, parce que le Dieu personnage s’y retrouve toujours : et si le Christ, en disant que Dieu est esprit, avait pensé conserver, de quelque manière que ce fût, le Dieu personnage, il n’eût été ni réformateur de la religion judaïque, ni révélateur d’une vérité nouvelle.


III

Nous venons de considérer Dieu comme être et comme Dieu, considérons-le comme maître, puisque c’est le besoin de comprendre le grand fait historique de l’ascension constante des générations humaines vers la liberté qui nous conduit à rechercher comment