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étrangers à toute culture philosophique ou scientifique. Or la première condition pour se faire entendre de ces hommes, c’était de prendre à quelque degré leur mentalité, et de leur présenter les choses d’une façon qui cadrât avec leurs préjugés et leurs erreurs. D’ailleurs cette condition se remplissait d’elle-même, puisque la mentalité du milieu ambiant était précisément celle des écrivains sacrés ; et qu’il n’est vraiment pas à croire que l’inspiration divine pût avoir pour effet de supprimer, au moment où ils écrivaient, tout ce qui faisait d’eux des hommes de leur temps et de leur pays. Il est donc certain que les nombreux écrits qui composent la Bible, s’ils contiennent tous la vérité définitive et absolue, la contiennent sous des formes relatives, exprimant l’état d’esprit d’un peuple particulier à une époque de son histoire. De plus, justement parce qu’elles sont relatives, ces formes sont variables, et elles varient dans la Bible même ; de sorte que, si l’on identifie la forme avec le fond, on voit dans la Bible la vérité devenir multiple, et par conséquent se détruire.

C’est surtout au sujet de la conception de Dieu que l’évolution de la doctrine biblique est manifeste. Le progrès a été lent, mais incessant. Pour plus de clarté on en peut distribuer la suite en trois périodes, qui apparaissent nettement distinctes les unes des autres.

L’habitude nous a rendu le Dieu biblique si familier que nous éprouvons, en dépit de l’histoire, quelque peine à nous figurer que l’homme ait jamais pu en concevoir un autre. En fait, c’est une conception très particulière et très originale du petit peuple qui habita la Palestine. Chez tous les peuples de l’antiquité, il y a des dieux et point de Dieu. Israël seul est monothéiste, et il l’est de très bonne heure. C’est pourquoi l’on peut dire que l’idée de Dieu lui appartient en propre ; et c’est pourquoi aussi la Bible, malgré la gangue dont ce pur diamant s’y trouve trop souvent enveloppé, présente vraiment un caractère divin. Iahvé, pour Israël, est le Dieu universel, le maître souverain du ciel et de la terre. Toutes les nations appartiennent à Iahvé ; mais parmi les nations il en a choisi une avec laquelle il a contracté alliance, et qu’il destine à régner un jour sur toutes les autres. Cette nation, qu’il gouverne en roi et en père, le sert en faisant ses volontés comme les serviteurs celles du maître dans la maison. Si le service est bon, il la paie en prospérités de toutes sortes, mais toujours d’ordre temporel ; autrement, il la châtie en lui envoyant mille calamités. Il est bon, quoique sévère, ami du pauvre et de l’opprimé. Pourtant ce n’est pas un être vraiment moral. Dieu, pendant cette période, est conçu comme