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aujourd’hui qu’on n’était au moyen âge, parce que l’Église, malgré tout mêlée au siècle, et en subissant l’influence, a beaucoup abandonné de ses prétentions primitives ; mais, dans la forme, l’hostilité des deux parties en présence n’a fait que s’accentuer, à mesure que disparaissait chez les peuples le sentiment chrétien qui l’avait tempérée à l’origine.

En même temps que cette loi de la scission progressive du pouvoir civil et du pouvoir religieux, l’histoire nous en révèle une autre, connexe à la première et non moins considérable : c’est l’effort persistant des générations pour séparer, dans l’ordre intellectuel et moral comme dans l’ordre politique, des choses divines les choses humaines, pour laïciser la science et la philosophie, pour conquérir enfin à l’individu le droit de penser et d’agir, en tout ce qui ne concerne point très expressément la conscience religieuse, indépendamment des directions de la puissance sacerdotale. De cette seconde loi encore nous voyons l’application très manifeste chez les peuples modernes.

Ce n’était pas seulement un magistère politique, c’était encore et surtout un magistère spirituel que la nécessité des temps et les services rendus avaient donné à l’Église. L’Église, au moyen âge, régnait sur les esprits et sur les consciences beaucoup plus encore que sur les États. Dans la première moitié du XVIe siècle son domaine subit tout d’un coup une grave amputation. Une partie considérable du monde chrétien se détache de Rome et du catholicisme : c’est la Réforme. Mais la Réforme, en mutilant l’unité catholique, en laissait le principe intact. Un autre mouvement qui se produisit en même temps, la Renaissance, devait avoir pour l’Église des conséquences bien plus redoutables, parce qu’il l’attaquait, non plus dans l’intégrité de son corps, mais dans son âme même, et menaçait d’éteindre en elle la vie. Jusque-là, à part quelques individualités sans grand éclat, tout ce qui pensait était nourri de sève chrétienne, et ne voyait les choses que sous l’inspiration et à la lumière du christianisme. Les érudits de la Renaissance découvrirent l’antiquité, et avec elle l’homme en tant qu’homme, l’homme considéré dans sa nature essentielle, abstraction faite des devoirs que lui impose et des espérances que lui permet sa rédemption par Jésus-Christ. L’exemple de l’antiquité montrait que cet homme avait vécu, et qu’il s’était trouvé capable des plus hautes conceptions dans la science, la philosophie et les arts. Une série prodigieuse de découvertes, où l’esprit chrétien n’avait point eu de part, prouvait qu’il pouvait vivre encore, et ouvrait à son ambition de croître une carrière sans limites. De même donc que,