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objet lève le rideau sur la fiction du monde phénoménal. Par le sortilège de ce geste métaphysique, la vérité des choses apparaît dans le décor de l’espace et du temps parmi les intrigues complexes de la causalité. L’un prend conscience de soi-même dans le multiple et l’état de connaissance, mascarade prestigieuse où la vie se délasse, se fonde sur le mensonge d’un être qui, par manière de jeu, se conçoit autre qu’il n’est. »

Le bovarysme étant ainsi d’une application universelle, étant considéré comme la loi même et la condition de la vie phénoménale, ne peut plus être pris pour un cas pathologique, à moins de considérer comme une maladie la,vie phénoménale elle-même. Si le pessimisme ne recule pas devant cette conclusion, M. de Gaultier estime qu’il faut prendre une autre voie, et que le fait seul de l’existence phénoménale qui demeure la seule réalité donnée, emporte avec lui son excellence et la confère aux lois dont nous le voyons dépendre. Et dans l’unique chapitre de la seconde partie de son livre, intitulé le bovarysme de la vérité, l’auteur se place à ce nouveau point de vue.

Si toute connaissance n’est possible que d’un objet par un sujet a en sorte que toute entité vivante ne prend conscience d’elle-même qu’au moyen d’une falsification de soi, il apparaît que la vérité n’a pas de place dans la vie phénoménale ». Il faut donc reconnaître que l’on touche ici, avec l’aspiration à la vérité, à une croyance bovaryque d’une force extraordinaire et qui jouit dans l’esprit des hommes d’un caractère sacré. Elle consiste à appliquer aux modes de la vie phénoménale une conception qui exclut la vie phénoménale, la loi d’un autre état que nous ne pouvons imaginer et décrire qu’en niant à son sujet tout ce que nous savons de la vie ordinaire. )) Par conséquent si ce bovarysme nous apparaissait d’abord sous un jour défavorable, c’était au nom d’une conception de la vérité qui était elle-même de nature bovaryque, qui était « le type et l’ancêtre de tout mensonge ». 11 faut donc se placer à un tout autre point de vue pour apprécier le bovarysme. Ce qui éclate dans l’existence phénoménale, c’est qu’elle apparait comme une chose en mouvement. Tout se transforme. a Devenir autre est la loi de la vie. Or dans l’être qui prend conscience de la vie qui l’anime et en forme une représentation, cette loi se transforme et devient la nécessité de se concevoir autre. » Se concevoir autre, c’est vivre et progresser.

Et dans la troisième partie du livre le « bovarysme, loi de l’évolution », l’auteur développe et applique ces nouveaux principes en traitant, dans le premier chapitre, du bovarysme de l’individu et des collectivités, dans le second, du bovarysme essentiel de l’être et de l’humanité. Il examine ainsi avec ses lumières nouvelles les sujets précédemment examinés par lui dans la première partie du livre. Le bovarysme est, dans son essence, « un appareil de mouvement. Dans tous les cas pathologiques qui furent d’abord énoncés, ce pouvoir moteur s’exerçait avec une force insuffisante ou dans une direction que contredisaient