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G. RAGEOT.LES FORMES SIMPLES DE L’ATTENTION

elles-mêmes. En présence d'une pendule, lorsque après un moment d'hésitation, un enfant s'apprête à y porter la main, il a l'air de vouloir s’en faire un joujou ; cette démarche reste pourtant théorique. Elle a pour fin, non pas de conquérir la mécanique sonore ni d'en faire usage, mais de la mieux pénétrer. C’est une pensée qui s’élance et veut se mêler à son objet, une curiosité qui s’évertue et comme une représentation en marche. Les perceptions de l’enfant ne comportent aucune application immédiate; elles ne sont point susceptibles de s'inscrire aussitôt en actes dans sa conduite instinctive : elles se suffisent à elles-mêmes, ne peuvent servir à rien, elles constituent littéralement un objet qui n’est qu'objet, tableau détaché de la vie, panorama brillant que ne limite ou ne voile aucune nécessité de la pratique, pure vision, sorte de rêve inépuisable, toujours nouveau, toujours renouvelé, premier mouvement du savoir, libre essor de la conscience épanouie et qui est bien, cette fois-ci, le jeu par excellence.

Dans les jeux des enfants, sans doute, il faudrait tenir compte d’un grand nombre de facteurs : activité à dépenser, besoin social, instinct d'imitation. Il n’est pas douteux que la plupart de ces jeux se déterminent par analogie et sur l'exemple de nos activités. Un de mes amis adore le jardinage ; à force de le voir prendre un tendre soin de ses plantes, sa petite fille a inventé de « jouer à embrasser les fleurs ». Mais, quelles que soient les causes occasionnelles qui en spécifient les variétés, tous les jeux des enfants, dans leur principe, sont intellectuels. Ce sont des questions en mouvement, des hypothèses réalisées, une expérimentation perpétuelle où ne subsiste plus rien d’émotionnel. Quel trouble ou quelle séduction peut évoquer son chemin de fer pour le petit mécanicien qui le démonte? Ce garçonnet ne connaît pas les voyages, les départs et les retours, ni les adieux. Cet objet ne présente pour lui ni signification morale ni utilité organique. Extérieur à lui-même et étranger à toute son existence, le chemin de fer n’est qu'une étude et une contemplation effective, de la pensée libre. Sikorsky a très bien noté, dans les jeux de l'enfance, que le « caractère artistique, de la fantaisie et de l’entrain » est parallèle au développement de l'attention. « Les enfants qui pleurent beaucoup se développent intellectuellement beaucoup moins que ceux dont l'humeur est égale. » Pour connaître et pour comprendre, l'enfant ne travaille pas, comme on le croit volontiers, il s'amuse, et, quand il est attentif et s'instruit, c'est qu'il joue. Alors, à l'exception du sentiment confus d'une cœnesthésie favorable, règne dans sa conscience ouverte le plus complet silence de la vie personnelle et sensible. L'absence momentanée de toute