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par lui, influent sur son attitude ; elles introduisent dans sa conduite une part d'invention, de telle façon que, dans les limites de la sélection naturelle, les acquêts de l'individu se surajoutent au patrimoine. Mais l’acte, dans sa totalité, n'en reste pas moins instinctif et il repose sur la liaison transmise d'une excitation externe des nerfs olfactifs avec le besoin de nourriture, ces réflexes constituant la trame et comme le squelette de l'opération dont le détail comporte seul une nuance de fantaisie. Point de confluence de l’hérédité et de l'individualité, c’est un geste spécifique à mouvements originaux comme la conquête d’une femelle à féconder ou la poursuite d’un ennemi à terrasser. Ainsi s'explique, d'une part, la sûreté et la précision de l'acte ; de l’autre, la tension générale de l’agent. La mise en œuvre d’un instinct, avec son adaptation nécessaire aux conjonctures du temps et du milieu, n’est pas rigide; elle réclame, à des degrés variables, que des mouvements acquis viennent s’insérer dans un processus hérité, en sorte que la résultante se trouve être partiellement automatique et partiellement spontanée, mi-neuve et mi-ancienne, imperturbable et affective. Et par ainsi l’on a pris d'ordinaire le déploiement d’une tendance organique pour l'attention commençante ou « spontanée ».

III. — Enfin, il y a des excitations qui, ni par voies héritées ni par voies acquises, ne peuvent être actuellement efficaces et ne produisent dans la conduite de l’instant aucun résultat utile à l'organisme. Elles ne suscitent aucune réaction précise et leur riposte s’ajourne d'elle-même. Elles s'expriment, non plus par des actes ou des mouvements extérieurs, mais par des perceptions et des images, qui sont comme des mouvement intérieurs, capables seulement, dans un temps indéterminé, de se convertir à nouveau en attitudes et en adaptations profitables. Cette fois-ci, c’est bien le domaine de l'attention, domaine, comme on le voit, infiniment variable et toujours étroit, instant difficile à saisir d'exercice et de fantaisie, lueur fugitive de spéculation. La conscience mobile de l'animal ne lui laisse pas le loisir de s’oublier longtemps; ses besoins se renouvellent avec une hâte impérieuse et ses instincts le maintiennent dans un utilitarisme perpétuel : il perçoit confusément le monde troublant et pâle dans sa vision spécifique, distraite.

Tous les observateurs de l'enfance, au contraire, ont noté son attitude spéculative. Les petits sont des penseurs, à la lettre. Par quel préjugé répète-t-on que l'enfant édifie le monde à sa ressemblance, alors qu’il ne cesse de se modeler lui-même sur la mobilité de ses jeunes images? Il se réalise dans sa perception, il s’identifie avec elle, avec les choses qu’il en tire, il se confond avec elles, il est