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elle devient une forme de l’instinct de conservation et une condition de la vie ; « elle dépend des états affectifs, désirs, satisfaction, mécontentement, jalousie, etc., son intensité et sa durée dépendent de leur intensité et de leur durée ». Mais d’abord ce n’est pas tout intérêt vital, tout état affectif qui suscite l’attention. La colère, que je sache, ne fait point réfléchir et il n’est pas plus ordinaire que l’amour rende clairvoyant ou ingénieux. Est-ce devant son fils malade, ou en présence de l’inconnu de l’hôpital, que le chirurgien sera le plus sûr de sa main ? Il faut donc commencer par une restriction et, à vrai dire, on l’a faite implicitement : seuls les états affectifs modérés, les sentiments, l’émotion-état et non l’émotion-choc, peuvent être comptés parmi les déterminants de l’attention. Je note alors que ces phénomènes, qui ne rappellent que de bien loin « la proie à saisir ou la femelle à féconder », persistent, évoluent, deviennent chroniques ; ce sont des sentiments « intellectuels » ; comment ces états durables engendrent-ils l’attention intermittente ? D’autre part — et ceci est plus grave, — les sensations ou images pénibles produisent tout aussi bien l’attention que les sensations ou images agréables et attrayantes. Voici que la nuance affective n’a plus d’action ni d’influence. Or, une cause qui varie sans faire varier son effet, peut-elle être considérée comme la cause principale de cet effet ? Je vois bien que l’on peut tenter de lever cette difficulté en alléguant l’adaptation motrice à forme inhibitoire, mais je vois aussi là une contrariété ; même à l’état faible, l’émotion est de nature réactive et diffuse : comment devient-elle justement le principe d’un état essentiellement suspensif et concentré ?

La vérité, c’est que l’attention est un terme, une conquête de la conscience formée. Elle est la mesure même de l’intelligence en activité ; elle est une sorte de sommet psychologique d’où la nouvelle Métaphysique de l’esprit tente de s’élancer. Pour avoir perdu de vue cette observation si simple, on a pu décrire quelques effets frappants de l’attention, mais on les a décrits comme des parties d’un tout, alors que ce tout, dans son unité primitive et dans ses causes élémentaires, échappait de plus en plus. Il ne faut pas chercher ailleurs la raison pour laquelle sont restées à peu près stériles jusqu’ici les études du laboratoire et la mesure expérimentale. Rien ne peut être plus précis ni plus précieux que la méthode des « temps de réaction », et l’on s’étonne qu’elle n’ait encore abouti qu’à des truismes chiffrés ; c’est qu’il y avait à résoudre une question préjudicielle.

Le mécanisme, que l’on entreprend d’étudier dans sa complexité tardive, a-t-il toujours existé ou ne s’est-il pas trouvé modifié par