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LES FORMES SIMPLES DE L’ATTENTION



L’attention est complexe : elle porte sur une représentation ou sur un ensemble de représentations ; elle s’accompagne de mouvements ou d’arrêts de mouvements ; elle suscite des modifications respiratoires et circulatoires ; elle est occasionnée ou entretenue, semble-t-il, par des états affectifs ; dès qu’elle se prolonge ou s’accroît, elle entraîne un sentiment spécial d’effort et de fatigue. Ces divers éléments ne s’équivalent pas en importance dans la production du phénomène total. Proposer une théorie de l’attention, c’est faire choix de l’un d’entre eux pour affirmer qu’il est la première condition de l’ensemble.

Le plus simple serait de considérer, avec le sens commun, l’attention comme un état tout intellectuel, où les autres éléments se surajouteraient dans la suite par association. L’attention dériverait alors des caractères de l’idée. « Pour qu’il y ait attention, a-t-on dit, il faut qu’à un instant donné l’une de nos représentations ait une intensité plus grande que les autres. Mais toute intensité ne détermine pas cet effet. On tentera donc de préciser cette intensité et, empruntant des métaphores jusqu’à la langue des électriciens, on alléguera la quantité de la représentation, c’est-à-dire « le produit de son intensité par sa durée[1] ». Seulement, comme l’a noté un éminent analyste[2], « la conscience constate une irréductible différence de forme entre cet accroissement d’intensité et celui qui tient à une plus haute puissance de l’excitation extérieure ; il semble en effet venir du dedans et témoigner d’une certaine attitude adoptée par l’intelligence ». Bouche bée, le badaud regarde passer un cortège officiel ; sensoriellement, la perception du Président de la République ne peut offrir plus de relief que la vue d’un chacun. Et donc, « ce n’est pas l’intensité seule qui agit, mais avant tout notre adaptation, c’est-à-dire nos tendances contrariées ou satisfaites » ; il y a un désir de voir pour voir qui est le fond même du badaud. Et voilà qu’avec M. Ribot l’attention plonge maintenant dans la sensibilité profonde :

  1. Marillier, Rev. phil., 1889.
  2. Bergson, Matière et mémoire, Paris, F. Alcan.