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elles et pourtant bien distinctes, se présentent concurremment. En général, quand plusieurs images différentes sont sur les rangs, c’est qu’aucune d’elles ne satisfait entièrement aux conditions exigées par le schéma. Et c’est pourquoi, en pareil cas, il n’est pas rare que le schéma ait à se modifier lui-même pour obtenir le développement voulu en images. Ainsi, quand je veux me remémorer un nom propre, je m’adresse d’abord à l’impression générale que j’en ai gardée ; c’est cette impression qui joue ici le rote de « schéma dynamique ». Aussitôt, diverses images partielles, correspondant par exemple à telles ou telles lettres de l’alphabet, se présentent à mon esprit. Ces lettres cherchent soit à se composer entre elles, soit à se substituer les unes aux autres, de manière à se conformer le plus exactement possible au schéma qui les a appelées. Mais souvent, au cours de ce travail, se révèle l’impuissance du schéma à tirer des images une forme d’organisation viable. De là une modification graduelle du schéma, exigée par les images mêmes qu’il a suscitées et qui peuvent très bien, néanmoins, avoir à se transformer ou même à disparaître à leur tour. Mais, soit que les images s’arrangent simplement entre elles, soit que le schéma et les images aient à se faire des concessions réciproques, toujours l’effort de rappel implique un écart, suivi d’un rapprochement graduel, entre le schéma et les images. Plus ce rapprochement exige d’allées et devenues, d’oscillations, de luttes et de négociations, plus s’accentue le sentiment de l’effort.

Nulle part ce jeu n’est aussi visible que dans l’effort d’invention. Ici nous avons le sentiment bien net d’une forme d’organisation antérieure aux éléments qui doivent s’organiser, puis d’une concurrence entre les éléments eux-mêmes, enfin, si l’invention aboutit, d’un équilibre résultant de l’adaptation de la forme et de la matière l’une à l’autre. Tout le long de ce travail, qui est véritablement une lutte, c’est le schéma qui montre de la raideur, et l’image de l’élasticité. Le schéma peut varier de période à période ; mais dans chacune des périodes il reste relativement fixe, et c’est aux images à faire de leur mieux pour s’y ajuster. Tout se passe comme si l’on tendait une rondelle de caoutchouc de divers côtés à la fois pour l’amener à prendre la forme géométrique de tel ou tel polygone. En général, le caoutchouc se rétrécit sur certains points à mesure qu’on l’allonge sur d’autres. Il faut s’y reprendre à plusieurs fois, fixer à chaque moment le résultat obtenu encore peut-on se voir obligé, pendant cette opération, de renoncer à la forme primitivement assignée au polygone. Ainsi pour l’effort d’invention, soit qu’il ne dure que quelques secondes, soit qu’il occupe des années entières.