Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 53.djvu/23

Cette page n’a pas encore été corrigée

quons-la sous cette nouvelle forme à l’effort corporel, celui dont s’est surtout préoccupé l’auteur, et montrons comment l’effort corporel et l’effort intellectuel s’éclairent ici l’un l’autre. Comment procédons-nous pour apprendre par nous-mêmes un exercice complexe, tel que la danse ? Nous commençons par regarder danser. Nous obtenons ainsi une perception visuelle du mouvement de la valse, si c’est de la valse qu’il s’agit. Cette perception, nous la confions à notre mémoire ; et dès lors notre but sera d’obtenir de nos jambes des mouvements qui donnent à nos yeux une impression conforme à celle que notre mémoire a gardée. Mais qu’est-ce au juste ici que notre mémoire conserve ? Dirons-nous que c’est une image nette, définitive, parfaite, du mouvement de la valse ? Parler ainsi serait admettre qu’on peut percevoir exactement le mouvement de la valse quand on ne sait pas valser. Or il est bien évident que si, pour apprendre cette danse, il faut commencer par la voir exécuter, inversement on ne la voit bien, dans ses détails et même dans son ensemble, que lorsqu’on a acquis suffisamment soi-même l’habitude de la danser. L’image dont nous allons nous servir n’est donc pas une image visuelle arrêtée ce n’est pas une image arrêtée, puisqu’elle variera et se précisera au cours de l’apprentissage qu’elle est chargée de diriger ; et ce n’est pas non plus tout à fait une image visuelle, car si elle se perfectionne au cours de l’apprentissage, c’est-à-dire à mesure que nous acquérons les images motrices appropriées, c’est que ces images motrices, évoquées par elle mais plus précises qu’elle, l’envahissent et tendent même à la supplanter. A vrai dire, la partie utile de cette représentation n’est ni purement visuelle ni purement motrice ; elle est l’un et l’autre à la fois ; étant une représentation de relations, surtout temporelles, entre les parties successives du mouvement à exécuter. Une représentation de ce genre, où sont surtout figurées des relations, ressemble beaucoup à ce que nous appelions un schéma.

Maintenant, nous ne commencerons à savoir danser que le jour où ce schéma, supposé complet, aura obtenu de notre corps les mouvements successifs dont il propose le modèle. En d’autres termes, ce schéma, représentation de plus en plus abstraite du mouvement à exécuter, devra se remplir de toutes les sensations motrices qui correspondent au mouvement s’exécutant. Il ne peut y arriver qu’en évoquant une à une les représentations de ces sensations ou, pour parler comme Bastian, les « images kinesthésiques » des mouvements partiels, élémentaires, composant le mouvement total ces souvenirs de sensations motrices, à mesure qu’ils se revivifient, se convertissent en sensations motrices réelles et par conséquent