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sonne quelquefois comme si lire et écouter consistaient à s’appuyer sur les mots vus ou entendus pour remonter de chacun d’eux à l’idée correspondante et juxtaposer ensuite ces diverses idées entre elles. L’étude expérimentate de la lecture et de l’audition des mots nous montre que les choses se passent d’une tout autre manière. D’abord, ce que nous voyons d’un mot dans la lecture courante se réduit à très peu de chose quelques lettres, moins que cela, quelques jambages ou traits caractéristiques. Les expériences de Cattell’, de Goldscheider et Muller~, de Pillsbury (critiquées, il est vrai, par Erdmann et Dodge ’) paraissent concluantes sur ce point. Xon moins instructives sont les récentes expériences de Bagley sur l’audition de la parole 5 ; elles établissent avec précision que nous n’entendons qu’une partie des mots prononcés. Mais, indépendamment de toute expérience scientifique, chacun de nous a p u constater l’impossibilité où il est d’entendre distinctement les mots s d’une langue qu’il ne connaît pas. La vérité est que la vision et l’audition brutes ne font, ici encore, que nous fournir des points de repère et constituer un cadre que nous remplissons avec nos souvenirs. Ce serait se tromper étrangement ici sur le mécanisme de la reconnaissance que de croire que nous commençons par voir et par entendre, et qu’ensuite, la perception une fois constituée, nous la rapprochons d’un souvenir semblable pour la reconnaître.La vérité est que c’est le souvenir qui nous fait voir et entendre, et que la perception serait incapable, par elle-mème, d’évoquer le souvenir qui lui ressemble, puisqu’il faudrait, pour cela, qu’elle eût déjà pris forme et qu’elle fût suffisamment complète or elle ne devient perception complète et n’acquiert une forme distincte que par le souvenir lui-même, lequel se coule en elle et lui fournit la plus grande partie de sa matière. Mais, s’il en est ainsi, il faut bien que ce soit le sens, avant tout, qui nous guide constamment dans la reconstitution des formes et des sons. Ce que nous voyons de la phrase lue, ce que nous entendons de la phrase prononcée, c’est tout juste ce qui est nécessaire pour nous placer dans l’ordre d’idées correspondant alors, partant des idées, c’est-à-dire des relations 1. Cattell, Ueber die Zeit der Erkennnng von Scriftzeichen, l’hilos. S~~ch’c~, [8~5-1886.

Go)(tscheider u. Miitter, Zur Physiologie u. Pathologie des Lesens, Ze :c/t)’. /K)- klinische ;U<e ;n, 1893.

. ~iHshury, A study in apperception, -4)7 !et’i’c<M J’OMt’ne~ of Psi/cAo/o~y, avril i89’i.

i. Erdmann u. Dodge, P~cAo~ot/~c/te U ?:<e)~McAM/ über das Lesen, Halle, <898. Bagtey, The apperception of thé spoken sentence, American JoMma~ of P~y<io/o~ octobre 1900.