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naissance autrefois avec lui. C’est là que j’allai aussitôt le chercher. Peut-être la brusque résurrection du souvenir utile ne fut-elle ici qu’une coïncidence. Mais peut-être aussi le travail effectué pour convertir le schéma dynamique en image avait-il dépassé le but, en évoquant, au lieu de l’image elle-même, les circonstances où elle s’était trouvée encadrée primitivement.

Dans ces divers exemples, l’effort de mémoire paraît avoir pour essence de développer un schéma sinon simple, du moins concentré, en une image aux éléments distincts et plus ou moins indépendants les uns des autres. Quand nous laissons notre mémoire errer au hasard, sans effort, les images succèdent aux images, toutes homogènes entre elles, toutes situées sur un même plan de conscience. Au contraire, dès que nous faisons effort pour nous souvenir, il semble que nous nous ramassions à un étage supérieur pour descendre ensuite progressivement vers les images à évoquer. Si, dans le premier cas, associant des images à des images, nous nous mouvions d’un mouvement que nous appellerons par exemple horizontal, sur un plan unique, il faudra dire que dans le second cas le mouvement est vertical, et qu’il nous fait passer d’un plan un autre. Dans le premier cas, les images sont homogènes entre elles, mais représentatives d’objets différents ; dans le second, c’est un seul et même objet qui est représenté à tous les moments de l’opération, mais il l’est différemment, par des états intellectuels hétérogènes entre eux, tantôt schémas et tantôt images, le schéma tendant vers l’image à mesure que le mouvement de descente s’accentue. Enfin chacun de nous a le sentiment bien net d’une opération qui se poursuivrait en extension et en superficie dans un cas, en intensité et en profondeur dans l’autre.

Il est rare, d’ailleurs, que ces deux opérations s’accomplissent isolément et qu’on les trouve à l’état pur.. La plupart des actes de rappel comprennent à la fois une descente du schéma à l’image et une association d’image à image. Mais cela revient à dire, comme nous le faisions au début de cette étude, qu’un acte de mémoire renferme d’ordinaire une part d’effort et une part d’automatisme. Je pense en ce moment à un long voyage que je fis autrefois. Je vois très bien comment des incidents de ce voyage me reviennent à l’esprit dans un ordre plus ou moins arbitraire, s’appelant mécaniquement les uns les autres. Mais tout effort que j’ai conscience d’accomplir pour me remémorer telle ou telle période de ce voyage est un processus par lequel je vais du tout de cette période aux parties qui la composent, le tout m’apparaissant d’abord comme un schéma indivisé, accompagné d’une certaine nuance affective. Souvent