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un miroir », mais qu’elle exige à tout instant, de la part du joueur, un effort de reconstitution. Quel est cet effort ? Quels sont les éléments effectivement présents à la mémoire ? C’est ici que l’enquête a donné des résultats inattendus. Les joueurs consultés s’accordent d’abord à déclarer que la vision mentale des pièces elles-mêmes leur serait plus nuisible qu’utile ce qu’ils retiennent et se représentent de chaque pièce, ce n’est pas son aspect extérieur, mais sa puissance, sa portée et sa valeur, enfin sa fonction. Un fou n’est pas un morceau de bois de forme plus ou moins bizarre c’est une « force oblique ». La tour est une certaine puissance de « marcher en ligne droite », le cavalier « une pièce qui équivaut à peu près à trois pions et qui se meut selon une loi toute particulière », etc. Voilà pour les pièces prises isolément. Voici maintenant pour la partie elle-même. Ce qui est présent à la mémoire du joueur, c’est une certaine composition de forces, ou mieux une certaine relation entre des puissances alliées ou hostiles. Le joueur refait mentalement l’histoire de la partie depuis le début. Il reconstitue les événements successifs qui ont amené la situation actuelle. Il obtient ainsi une représentation du tout qui lui permet, à un moment quelconque, de visualiser telle ou telle partie. Cette représentation abstraite est d’ailleurs MMe. Elle implique une pénétration réciproque de tous les éléments les uns dans les autres. Ce qui le prouve, c’est que chaque partie apparaît au joueur avec une physionomie qui lui est propre. Elle lui donne une impression Mtt generis. « Je la saisis comme le musicien saisit dans son ensemble un accord, » dit un des joueurs consultés. Et c’est justement cette différence de physionomie générale qui permet à la mémoire du joueur de retenir plusieurs parties sans les confondre entre elles. Donc, ici encore, il y a un schéma représentatif du tout, et ce schéma n’est ni un extrait ni un résumé. Il est aussi complet que pourra l’être l’image une fois ressuscitée, mais il contient à l’état d’implication réciproque ce que l’image déroulera en parties extérieures les unes aux autres.

Examinez de près ce qui se passe en vous quand vous faites effort pour évoquer un souvenir simple. Ici le mécanisme de l’opération peut être démonté facilement. Vous partez d’une représentation où vous sentez que sont donnés l’un dans l’autre des éléments dynamiques très différents. Cette implication réciproque, et par conséquent cette complication intérieure, est chose si nécessaire, elle est si bien l’essentiel de la représentation schématique, que le schème pourra, si l’image à évoquer est simple, être beaucoup moins simple qu’elle. Je n’irai pas bien loin pour en trouver un