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s’étonner si, comme Loti le montre si bien, particulièrement dans Mon frère Yves, une exquise douceur de caractère en est souvent la réaction ; il faut dire plutôt que c’en est le dénoûment naturel.

Une telle conception cependant n’est-elle pas étroite ? L’entêtement est loin d’être toujours négatif. Il est souvent une volonté de brute, exaspérée, furieuse, aux explosions terribles. En même temps qu’il s’obstine à ne pas prendre la résolution la plus simple, la plus naturelle, le têtu prendra sans hésiter la plus fantasque, la plus extravagante, la plus contraire à son caractère et à ses goûts. Après avoir paru un aboulique, il se montrera un maniaque ou un forcené. Il ne laisse pas cependant d’être toujours semblable à lui-même : quand il se refuse à suivre ses désirs les plus ardents, il veut affirmer l’indépendance de sa volonté ; il veut l’affirmer encore, quand il poursuit avec acharnement la réalisation de ses plus légers caprices. C’est aussi la même somme d’énergie qu’il dépense dans l’impulsion et dans l’arrêt : sa volonté lâchée donne la mesure de sa volonté tendue. Le doux entêtement est le coup de tête furieux, emmagasiné ou latent, prêt à éclater.

Mais d’où vient que l’entêtement se manifeste par la violence, après qu’il nous avait paru être essentiellement la volonté tendant à se concentrer, à se ramasser sur elle-même ? C’est qu’une circonstance accidentelle est venue forcer la volonté dans ses retranchements, en entraver l’élaboration normale, en précipiter les décisions. Le têtu dissipe alors en un instant toute la force qu’il avait accumulée lentement ; il s’engage à fond pour des raisons légères, il joue, comme on dit, son va-tout. Esprit lent que l’imprévu déconcerte et affole, il se trouve forcé d’agir quand sa conviction n’est point faite, de se décider quand sa décision n’est point prise ; il oppose alors un mauvais vouloir à la violence qu’il subit, il se désintéresse de la conduite à suivre, en adopte une, la première venue, et met ensuite au service d’un parti si follement embrassé, la sauvage énergie qui lui vient de son dépit, de son humeur contrariée. Ainsi peuvent s’accomplir des actions tragiques : suicide, mariage désastreux, etc. Pour pousser la volonté du têtu aux pires égarements, il suffit parfois de la provocation la plus légère : d’une raillerie, d’une mise au défi.

En résumé, cette volonté est caractérisée par la difficulté qu’elle éprouve à se former, à se développer normalement, et par la facilité avec laquelle elle renonce à se constituer, s’abandonne, se dépite, et se porte aux plus grands excès, aux éclats dangereux, aux diversions folles.

De là suivent des conséquences pratiques : l’entêté ne doit pas être morigéné, pris à rebours, mais abandonné à lui-même et aux