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en effet, être dogmatique par scepticisme, comme on est parfois, suivant le mot de Platon, tempérant par intempérance et courageux par peur. Au point de vue intellectuel, l’entêtement serait donc l’obstination à soutenir un principe imparfaitement établi.

Au point de vue affectif, il est un amour-propre mal placé. L’entêté se persuade, ou veut se persuader, qu’il défend ses idées contre celles d’autrui, qu’il maintient contre l’opinion la liberté de ses jugements, qu’il affirme l’indépendance et la fermeté de son caractère. La seule raison qu’il ait et puisse avoir de ne pas accéder à ses propres désirs, est que ces désirs concordent avec des sollicitations étrangères. Ainsi, pour emprunter à Loti, peintre admirable de l’entêtement breton, un saisissant exemple, pourquoi, dans Pêcheur d’Islande, Yann s’obstine-t-il à ne pas demander la main de Gaud qu’il aime et dont il se sait aimé ? Il l’eût fait de grand cœur s’il se fût écouté. « Mais voilà ! on l’avait tourmenté avec cette Gaud ! Tout le monde s’y était mis : ses parents, Sylvestre, ses camarades islandais, jusqu’à Gaud elle-même ! Alors il avait commencé à dire non, obstinément non, tout en gardant au fond de son cœur l’idée qu’un jour, quand personne n’y penserait plus, cela finirait certainement par être oui. » Loti, poursuivant la subtile analyse de ce cœur simple, montre jusqu’à quel point va chez Yann la susceptibilité d’un amour-propre ombrageux. Yann rebute ses parents, à peu près comme Pascal rebutait sa sœur par un motif d’une autre nature, mais aussi raffiné pour ne pas avoir l’air de leur montrer un amour répondant à l’appel du leur, et dont l’élan ainsi ne serait pas spontané et libre. Il fait à Gaud l’aveu de ces complications sentimentales : « C’est mon caractère qui est comme cela, dit-il. Chez nous, avec mes parents, c’est la même chose. Des fois, quand je fais ma tête dure, je reste, pendant des huit jours, comme fâché avec eux, presque sans parler à personne. Et pourtant je les aime bien, vous le savez, et je finis toujours par leur obéir dans tout ce qu’ils veulent, comme si j’étais encore un enfant de dix ans. » L’entêtement est ainsi une humeur contradictoire et bizarre, une fausse honte, pleine de subtilités et de détours.

Il est l’amour-propre se jetant au travers des sentiments naturels, empêchant de les suivre, mais n’arrivant pas à les supprimer. Il produit un malaise, un mécontentement de soi-même et des autres. L’entêté se rend compte que son caractère le fait mal juger et méconnaître, et il en souffre, il s’en dépite. Qu’est-ce donc que cette attitude ou cette disposition, dans laquelle il s’obstine, il paraît se complaire, et qui lui est odieuse ? En dépit des apparences, elle n’est point une décision de sa volonté, mais une