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IV


Avantage de cette interprétation.


Ces vues se rattachent à celles qu’ont émises dans ces dernières années les psychologues et les sociologues, elles les rapprochent et peut-être les complètent.

Le besoin d’une unité sociale poussée jusqu’à l’uniformité a été assez bien constaté, principalement dans la sphère politique et même dans les sphères économiques et juridiques. On ne peut pas dire toutefois que ses manifestations religieuses aient jusqu’ici suffisamment attiré l’attention des chercheurs. Et pourtant elles occupent le premier rang, peut-être en date, sans contredit en importance. Les meilleures preuves en sont fournies, incidemment, par les sociologues eux-mêmes. Une de leurs remarques fréquentes est que partout où l’influence de la religion faiblit ou fait défaut, il se produit une discordance des consciences et des volontés, une véritable désagrégation sociale. Une autre observation non moins exacte est à rapprocher de celle-là : les convictions collectives revêtent presque toujours une forme religieuse, quand bien même elles n’ont pour objet aucune personnalité divine. Les jacobins ressemblent à s’y méprendre aux anciens inquisiteurs, et l’athéisme même peut devenir, chez les foules, foncièrement religieux. Cela ne signifie-t-il pas que l’unification extérieure des désirs et des volontés a dépendu et dépend encore de la religion, aussi bien que l’unification intérieure des états et des tendances ? l’œuvre religieuse par excellence ne consisterait-elle pas alors à intégrer à la fois les états de conscience et les actions individuelles, les éléments psychiques et les éléments sociaux et à réaliser ainsi, avec l’harmonie du milieu, l’unité du moi qui la suppose ?

Quoi qu’il en soit, et pour en rester à la pathologie, le simple fait que le fanatisme politique se ramène aisément au fanatisme religieux, montre assez l’influence primordiale de celui-ci sur l’uniformisation des idées et des mœurs. S’en tenir aux sphères politiques et juridiques c’est donc préférer la copie à l’original, choisir entre des cas d’inégale valeur, les moins significatifs. Les descriptions des sociologues mettent trop peu en évidence les cas typiques où l’uniformité des croyances, des actes et des sentiments se produit sous la pression irrésistible de l’idée religieuse. Peut-être les observations utilisées au cours de cette étude contribueront-elles à bien marquer sinon à combler cette lacune.

Si l’on considère maintenant les théories auxquelles les faits constatés servent de preuve, on ne manquera pas de les trouver peu