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On souhaiterait assurément une description un peu plus minutieuse de l’état mental de ce jeune homme pendant ces trois semaines d’isolement et d’exercices spirituels. Le fait que des troubles se produisent et que des impressions religieuses disparaissent dans cette retraite, est déjà significatif. Le retour à l’unité de conscience, à la paix et à la foi, succédant à la reprise des occupations habituelles, est un phénomène tout opposé à ceux qui se produisent chez les mystiques.

Comme le cas n’est pas aussi rare qu’on pourrait être tenté de le supposer, il sera facile de vérifier et de compléter, à l’aide d’autres exemples analogues, les indications qu’il fournit sur le caractère actif et sur le sentiment religieux dans la « vie active ».

Le fait suivant pris à une autre époque et dans un autre milieu confirme la première observation et la complète. Pogatski disait que Dieu ne s’était jamais manifesté à lui dans la contemplation, mais seulement le diable. Car il avait été tenté toutes les fois qu’il était resté inoccupé. Dès qu’il avait à vaincre des obstacles, il ressentait une joie qu’il ne pouvait jamais atteindre par la contemplation[1]. Les troubles organiques et psychiques tentations apparaissent et disparaissent dans les mêmes conditions que chez le petit employé américain et le sentiment religieux passe par les mêmes phases d’exaltation et de dépression.

Avant de passer à de nouvelles observations, plus importantes encore, remarquons que ces deux cas, qui représentent deux degrés peut-être inégalement morbides d’un même état de conscience, sont, malgré leur complexité, relativement simples, comparés à l’état ordinaire et normal.

L’homme religieux vit en général d’une double vie, intérieure et extérieure, il sent et il agit, il contemple ou adore, et il exerce une profession, il prie et prêche ou fait des affaires, sans éprouver la moindre difficulté à concilier ces choses diverses. Il passe aisément de l’une à l’autre ou même les combine et les identifie. L’idée religieuse rétablit perpétuellement l’unité de la conscience, l’équilibre des tendances et des états psychiques. Parfois, au contraire, l’individu se trouve « partagé », désagrégé, et partant malheureux. Il se voit alors contraint de choisir (s’il peut être ici question d’un choix) entre cette alternative : Ou bien « de renoncer au monde » pour trouver l’unité avec Dieu dans son for intérieur, comme fait le mystique ou bien de renoncer à lui-même pour trouver l’unité avec Dieu dans une activité extérieure quelconque, comme nos actifs

  1. Ritschl, Geschichte des Pietismus.