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RELIGION ET FOLIE

Les rapports de la religion et de la folie n’ont, jusque maintenant, été étudiés par les aliénistes que d’une façon insuffisante et, en quelque, sorte, réservée et timide. Sans vouloir en rechercher les raisons, ne pourrait-on s’expliquer la chose dans une certaine mesure, si l’on se rappelle ce conseil donné par Victor Cousin : « Vous rencontrerez assurément sur votre route un personnage très considérable : c’est le christianisme ; ôtez-lui respectueusement votre chapeau, et n’essayez pas d’entrer en lutte avec lui. Il en a encore pour deux cents ans dans le ventre ».

Deux cents ans, cela nous a paru un peu long à attendre pour aborder l’étude d’une question intéressante et que nous croyons nouvelle, mais que nous avons d’ailleurs l’intention de traiter avec tout le respect désirable et sans aucun esprit de lutte et de parti.

Nous avons qualifié la question de nouvelle : ce n’est pas à dire toutefois que jamais on n’ait abordé l’étude des rapports de la religion et de la folie : nombreux, en effet, sont les travaux des aliénistes sur ce sujet, et l’énumération serait déjà longue des ouvrages qui traitent de la folie religieuse, de la folie mystique, des épidémies de démonopathie, etc[1]. Dans l’article Délire du Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, MM. Ball et Ritti, classant les conceptions délirantes des aliénés, en distinguent huit catégories, et dans leur énumération quelque peu hétérogène, les idées religieuses occupent le cinquième rang, entre les idées hypochondriaques et les idées érotiques. Tous les jours encore, les revues et journaux spéciaux de médecine mentale relatent des observations de délire religieux, avec ou sans hallucinations, et il n’est pas de traité consacré aux maladies de l’esprit qui ne contienne dans son chapitre « étiologie » un article sur la religion considérée comme cause de folie. Tout cela nous prouve qu’au point de vue clinique et médical, tout au moins, la question a été étudiée, et on peut même dire qu’elle est résolue autant qu’elle peut l’être dans l’état actuel

  1. Voir entre autres : L. P. Calmeil, De la folie considérée au point de vue pathologique, philosophique, historique et judiciaire.