Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 41.djvu/417

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

affections mentales ne figurent même pas parmi les causes de mort dans le Bulletin officiel de la statistique municipale de Paris.

Si l’augmentation du nombre des névropathes est plus facile à mettre en évidence dans les grandes cités d’Amérique, c’est vraisemblablement qu’elle y est plus marquée. On l’attribue, en général, avec Weir Mitchell, à l’excès d’activité, au surmenage. Si on est autorisé à admettre que le surmenage existe au même degré, ou peu s’en faut, dans nos pays d’Europe, on arrive facilement à conclure que les névropathies doivent aussi y augmenter et que la statistique a tort, si elle ne met pas ce fait en lumière. Mais il n’est pas facile de démontrer que le surmenage soit le seul agent de la production des névropathies dans les villes neuves d’Amérique, ni même qu’il soit le principal. Il serait bon d’établir le bilan névropathique des émigrants et de leur descendance.

Il n’est pas sans intérêt d’ailleurs de remarquer que le surmenage américain, le surmenage des hommes d’affaires, est le produit d’une activité systématique et monotone qui coïncide nécessairement avec des inactivités multiples des fonctions intellectuelles.

Un fait qui mérite d’appeler l’attention, c’est que parmi les formes les mieux définies de l’aliénation mentale, la paralysie générale, caractérisée par des lésions anatomiques le plus souvent grossières et une symptomatologie appropriée, tend à prendre une place de plus en plus importante dans tous les pays. D’autre part cette psychopathie à lésion tend à devenir plus fréquente chez les femmes et chez les jeunes sujets. Ces faits sembleraient trahir une structuralisation progressive de la tendance morbide. L’anomalie de développement, que l’on peut supposer la base anatomique de la prédisposition neuro-psychopathique, et qui pendant longtemps a passé inaperçue, tend à se matérialiser d’une manière de plus en plus évidente. C’est une circonstance qui semble indiquer une progression dans le processus morbide parallèle à l’augmentation de fréquence qui se montre bien nettement dans les contrées qui réunissent le plus grand nombre de conditions provocatrices. La fréquence croissante des suicides peut être encore citée à l’appui de l’augmentation des névropathies[1].

S’il n’est pas facile de démontrer, dans tous les pays du moins, la réalité de l’augmentation des névropathies, il est encore moins aisé d’en déterminer la cause. Il n’est pas établi que la civilisation doive en être accusée en raison des excès qu’elle entraîne, plutôt qu’en raison des obstacles qu’elle a apportés à la sélection naturelle, sauvegarde des races.

Ch. Féré.

  1. W. J. Corbet, The increase of insanity (Fortnightly Review, March, 1896).