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est un jugement de l’esprit et… Si encore nous avions la ressource d’y voir plus clair en remplaçant « la musique » par « toute phrase musicale » ! Mais nous ne gagnerions rien à la substitution.

Qu’est-ce donc, encore un coup, que penser en musique ? Et peut-on dire que la pensée musicale commence là où l’on ne se contente plus de « disposer savamment » des arabesques ? Et de ce que la musique de Beethoven est « pleine de substance », de ce qu’elle peut disposer à penser profondément ceux de nous qui en seraient capables, cela implique-t-il que Beethoven mérite le nom de penseur et le mérite autrement que par analogie ? S’ensuit-il que ses phrases musicales puissent être qualifiées de « jugements sonores » (P. 105) ?

Il y aurait mauvaise grâce à trop insister sur l’erreur de M. Combarieu, l’une des plus graves et aussi des plus bizarres que jamais esthéticien ait osé défendre. Nous voudrions cependant lui demander ce qu’il souhaite que nous comprenions lorsqu’il nous dit qu’en musique Mozart est « un. penseur médiocre ». J’ai bien peur que cela veuille dire tout simplement qu’il n’aime pas Mozart, ce dont assurément il a le droit. Il se pourrait néanmoins que le droit de n’aimer point Mozart n’impliquât nullement celui de lui reprocher le plus invraisemblable des plagiats. « Le thème principal et initial de la Symphonie héroïque a été reproduit par Mozart dans son ouverture de Bastien et Bastienne. » De quoi si Mozart s’était rendu coupable, il n’aurait d’égal que le Pâris de la Belle Hélène devinant le mot « locomotive » trois mille ans avant l’invention des chemins de fer.

Ainsi, que ce soit une chose entendue, les thèses d’esthétique musicale de M. Combarieu sont énormes et, comme telles, insoutenables.

Heureusement que cette inaptitude à penser philosophiquement coexiste chez notre auteur avec de très réelles facultés d’analyse musicale et que les remarques de détail dont son livre abonde sont des plus instructives. Oublions ce qu’elles prétendent prouver et considérons-les en elles-mêmes. Nous en tirerons profit.

En effet, s’il est contestable que la musique soit expressive par elle-même, il l’est moins, qu’associée au drame, la musique, en de certains cas, ne nous paraisse appropriée merveilleusement soit à une situation, soit même à un texte. Donnez une même situation à traiter à plusieurs musiciens. Vous constaterez des différences d’interprétation et des différences dans l’exactitude de l’interprétation. De ce point de vue on peut constater, par exemple, que Donizetti est plus exact que Rossini, que ses contresens musicaux sont assez rares. Le Sextuor de Lucie par exemple vaut « à ce point de vue » le Trio de Guillaume Tell. Je ne prétends pas assurément que la musique du sextuor égale celle du trio. Je ne m’occupe point de la musique en elle-même, mais seulement de la musique dans son rapport avec la situation. Et c’est encore par où l’air, justement célèbre, de la Favorite : 0 mon Fernand, etc., mérite le nom de chef-d’œuvre. Il y aurait là une curieuse étude de