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pure de la différence, car toute différenciation suppose une comparaison. Or il n’y en a point d’établie entre les divers éléments d’une pluralité ; seulement, chacun d’eux attire en particulier l’attention (comme un Etwas, quelque chose, sans aucune supposition d’égalité entre les unités), tandis que l’ensemble provoque également un intérêt spécial.

Le concept des relations de plus et de moins nécessite un nouvel acte psychique, et exige la représentation simultanée de deux ensembles, dont l’un est partie intégrante de l’autre ou est équivalent à une partie intégrante de l’autre (l’équivalence de deux ensembles ayant lieu quand à chacun des éléments de l’un on peut faire correspondre un élément et un seul de l’autre, sans qu’il reste aucun élément n’ayant point de correspondant).

Si l’on considère tous les ensembles équivalents entre eux comme formant une classe, les diverses classes peuvent s’ordonner par ordre de grandeur, et l’on passera de l’une à la suivante par adjonction d’un élément unique. La série des nombres entiers forme une telle ordonnance pour laquelle le nom de chaque ensemble est déterminé d’après son rang. Compter une quotité concrète, c’est chercher le nombre qui lui est équivalent. C’est bien dans cette voie que les mathématiciens cherchent actuellement à préciser le concept de nombre ; M. Husserl leur adresse des critiques dont j’avoue que la portée m’échappe, mais qui me semblent viser surtout la complication du procédé. Cela ne suffit pas pour en établir l’inutilité[1].

En ce qui concerne la signification logique des noms de nombre, notre auteur se range à l’opinion de Stuart Mill qui y voit des prédicats, non pas des objets, mais de leur nombre, concept présent à l’esprit quand bien même il ne serait pas explicitement énoncé.

La seconde partie du volume renferme une excellente étude des opérations fondamentales de l’arithmétique, considérées dans leur signification quand on regarde simplement le nombre comme une collection d’unités, sans recourir aux symboles (systèmes de numération) qui servent à le représenter. Mais je ne puis m’attarder aux détails de cette étude qui me semblent d’ailleurs de nature à intéresser plutôt les mathématiciens que les philosophes.

Il y a, dans l’ensemble de l’ouvrage, en dehors de remarquables déductions logiques, une très grande richesse d’informations et les opinions des philosophes et des mathématiciens qui ont touché la matière sont développées avec une ampleur qui rendrait en tout cas très précieux le livre de M. Husserl, ne fut-ce que comme memento. Le côté psychologique de la question me parait relativement plus faible et l’auteur a tenu trop peu de compte, à mon sens, des faits historiques

  1. La question capitale, et que M. Husserl semble négliger, c’est qu’on ne peut guère établir par la logique, sans appel à l’intuition, la notion de l’équivalence de deux ensembles donnés concrètement.