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euclidienne, dont au reste il ne méconnaît nullement la valeur propre, n’a rien à faire avec le criticisme, pas plus qu’avec l’empirisme.

Il me semble qu’aujourd’hui le problème est assez mûri pour être discuté plus à fond, et je n’ai pas besoin d’en faire ressortir l’importance. Il ne s’agit en réalité de rien moins que des principes mêmes de la connaissance mathématique ; rappelons brièvement tout d’abord quelle est exactement la doctrine de Kant à ce sujet.

Les jugements mathématiques sont tous synthétiques a priori. Le point de départ des raisonnements se trouve en effet soit dans des jugements synthétiques absolument a priori (axiomes ou postulats), soit dans des définitions qui, malgré leur apparence analytique, reposent, sauf celles qui sont purement verbales, sur une synthèse primitive, car « nous ne décomposons ce que nous avons composé antérieurement. » Cette synthèse est un acte d’intuition, et l’intuition a priori est conditionnée par les formes pures de notre sensibilité.

On sait que M. Renouvier s’écarte de Kant sur plusieurs points ; mais les divergences sont en réalité d’ordre secondaire et concernent plutôt la terminologie que le fond même des pensées. Si le maitre du néo-criticisme déclare analytiques nombre de jugements que Kant considérait comme synthétiques (celui-ci par exemple : l’espace a trois dimensions), il n’en fait pas moins reposer l’analyse sur l’intuition ; il emploie même comme synonymes les expressions : intuitif ou analytique. J’avoue que je ne vois pas bien le progrès : il me semble que de la sorte la confusion ne fait que s’accroître, car M. Renouvier ne nie pas que les jugements synthétiques a priori aient également leur fondement dans l’intuition. Prétend-il interdire à l’analyse des concepts de déterminer explicitement les jugements synthétiques non formulés, mais implicitement supposés par les définitions de choses ? J’aurais cru, tout au contraire, que cette détermination serait le véritable but de l’analyse ; quoi qu’il en soit, pour M. Renouvier, comme pour Kant, c’est toujours à l’intuition que l’on arrive en dernier ressort, et c’est là le point essentiel.

M. Milhaud est plus fidèle au véritable esprit de Kant, quoique, à vrai dire, la conception de sa thèse l’ait conduit à éviter de se prononcer, en principe, sur la question de l’origine de nos connaissances. Remarquons toutefois qu’il évite également les expressions techniques de jugements analytiques ou synthétiques et qu’il emploie de préférence, sans leur donner bien entendu un sens équivalent, les termes de subjectifs et d’objectifs.

Il est essentiel en effet de remarquer que Kant désigne par intuition un acte de pensée dont la notion lui était fournie par les mathématiques de son temps et qui est encore, à vrai dire, suffisamment familier aux géomètres du nôtre. Il n’en est pas moins vrai que, depuis un siècle, la mathématique a fait de singuliers efforts pour se dégager des nécessités de l’intuition et que ces efforts ont réussi dans une large mesure.

Prenons un exemple précis : les propriétés de l’addition arithmétique