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LA MÉTHODE PHILOSOPHIQUE
DE RENAN




I


On ne s’affranchit pas d’une religion qui a pris à la Grèce sa métaphysique la plus raffinée et à l’âme humaine sa plus exquise poésie, on ne sort pas du labyrinthe d’une scolastique aux détours compliqués par la subtilité séculaire des théologiens, pour se contenter de la religion naturelle de M. Jules Simon et de la pauvre scolastique d’un manuel de baccalauréat. Renan avait de trop hautes ambitions pour s’enrégimenter sous le drapeau banal d’une philosophie officielle ; il était un volontaire de la pensée, il en aimait les hasards et les dangers, il en dédaignait la parade.

Dans un article d’une ironie charmante, Renan a dit ce qu’il pensait de Victor Cousin. Oh ! il ne l’attaque pas, il serait désolé qu’on lui attribuât une telle pensée, il n’a pas assez d’éloges « pour ce charmant esprit, toujours jeune, toujours ouvert à de nouvelles admirations et à de nouvelle sympathies[1] » Mais écrivain, orateur, politique, chef d’école, Cousin a été tout si ce n’est peut-être philosophe. Imaginez Descartes dans son poêle, Spinoza dans son pauvre réduit, Kant, les yeux fixés, durant quarante ans, sur une vieille tour du château de Königsberg, puis brusquement, Cousin à la Sorbonne, à l’Académie, au ministère, à la Chambre des Pairs, dans les ruelles du xviie siècle, partout, quel bruit après ce grand silence ! Pour faire de la philosophie un service d’État, pour la rendre « possible », il l’a de plus en plus réduite à une petite chose bénigne et sans venin. Ses disciples n’ont pu que varier ses phrases, parler sur place « Une

  1. Essais de morale et de critique. Art. V. Cousin, p. 91.