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pas ce qui les a fait être. Alors même qu’on s’expliquerait comment nous sommes parvenus à les imaginer, à en faire comme le plan par avance et à nous représenter les services que nous en pouvions attendre — et le problème est déjà difficile — les vœux dont elles pouvaient être ainsi l’objet n’avaient pas la vertu de les tirer du néant. En un mot, étant admis qu’elles sont les moyens nécessaires pour atteindre le but poursuivi, la question reste tout entière : Comment, c’est-à-dire de quoi et par quoi ces moyens ont-ils été constitués ?

Nous arrivons donc à la règle suivante : La cause déterminante d’un fait social doit être cherchée parmi les faits sociaux antécédents, et non parmi les états de la conscience individuelle. D’autre part, on conçoit aisément que tout ce qui précède s’applique à la détermination de la fonction, aussi bien qu’à celle de la cause. La fonction d’un fait social ne peut être que sociale, c’est-à-dire qu’elle consiste dans la production d’effets socialement utiles. Sans doute, il peut se faire, et il arrive en effet, que, par contre-coup, il serve aussi à l’individu. Mais ce résultat heureux n’est pas sa raison d’être immédiate. Nous pouvons donc compléter la proposition précédente en disant : La fonction d’un fait social doit toujours être recherchée dans le rapport qu’il soutient avec quelque fin sociale.

C’est parce que les sociologues ont souvent méconnu cette règle et considéré les phénomènes sociaux d’un point de vue trop psychologique, que leurs théories paraissent, à de nombreux esprits, trop vagues, trop flottantes, trop éloignées de la nature spéciale des choses qu’ils croient expliquer. L’historien, notamment, qui vit dans l’intimité de la réalité sociale, ne peut manquer de sentir fortement combien ces interprétations trop générales sont impuissantes à rejoindre les faits ; et c’est, sans doute, ce qui a produit, en partie, la défiance que l’histoire a souvent témoignée à la sociologie. Ce n’est à pas à dire, assurément, que l’étude des faits psychiques ne soit pas indispensable au sociologue. Si la vie collective ne dérive pas de la vie individuelle, l’une et l’autre ne sont pas sans rapports ; si la seconde ne peut expliquer la première, elle peut, du moins, en faciliter l’explication. D’abord, comme nous l’avons montré, il est incontestable que les faits sociaux sont produits par une élaboration sui generis de faits psychiques. Mais, en outre, cette élaboration elle-même n’est pas sans analogie avec celle qui se produit dans chaque conscience individuelle et qui transforme progressivement les éléments primaires (sensations, réflexes, instincts) dont elle est originellement constituée. Ce n’est pas sans raison qu’on a pu dire du moi qu’il était lui-même une société, au même titre que l’orga-