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de voies différentes peuvent être et sont effectivement suivies ! Si donc il était vrai que le développement historique se fît en vue de fins clairement ou obscurément senties, les faits sociaux devraient présenter la plus infinie diversité et toute comparaison presque devrait se trouver impossible. Or c’est le contraire qui est la vérité. Sans doute, les événements extérieurs dont la trame constitue la partie superficielle de la vie sociale varient d’un peuple à l’autre. Mais c’est ainsi que chaque individu a son histoire, quoique les bases de l’organisation physique et morale soient les mêmes chez tous. En fait, quand on est entré quelque peu en contact avec les phénomènes sociaux, on est, au contraire, surpris de l’étonnante régularité avec laquelle ils se reproduisent dans les mêmes circonstances. Même les pratiques les plus minutieuses et, en apparence, les plus puériles, se répètent avec la plus étonnante uniformité. Telle cérémonie nuptiale, purement symbolique à ce qu’il semble, comme l’enlèvement de la fiancée, se retrouve exactement partout où existe un certain type familial, lié lui-même à toute une organisation politique. Les usages les plus bizarres, comme la couvade, le lévirat, l’exogamie, etc., s’observent chez les peuples les plus divers et sont symptomatiques d’un certain état social. Le droit de tester apparaît à une phase déterminée de l’histoire et, d’après les restrictions plus ou moins importantes qui le limitent, on peut dire à quel moment de l’évolution sociale on se trouve. Il serait, facile de multiplier les exemples. Or cette généralité des formes collectives serait inexplicable si les causes finales avaient en sociologie la prépondérance qu’on leur attribue.

Quand donc on entreprend d’expliquer un phénomène social, il faut rechercher séparément la cause efficiente qui le produit et la fonction qu’il remplit. Nous nous servons du mot de fonction de préférence à celui de fin ou de but, précisément parce que les phénomènes sociaux n’existent généralement pas en vue des résultats utiles qu’ils produisent. Ce qu’il faut déterminer, c’est s’il y a correspondance entre le fait considéré et les besoins généraux de l’organisme social et en quoi consiste cette correspondance, sans se préoccuper de savoir si elle a été intentionnelle ou non. Toutes ces questions d’intention sont, d’ailleurs, trop subjectives pour pouvoir être traitées scientifiquement.

Non seulement ces deux ordres de problèmes doivent être disjoints, mais il convient, en général, de traiter le premier avant le second. Cet ordre, en effet, correspond à celui des faits. Il est naturel de chercher la cause d’un phénomène avant d’essayer d’en déterminer les effets. Cette méthode est, d’ailleurs, d’autant plus logique