Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 38.djvu/138

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tion « sans déformation ». Ce terme ne se comprend que si l’on connaît au préalable ce qu’est la forme, et par quels moyens on peut s’assurer qu’une forme donnée ne s’altère pas. Supposons que l’on ait ces connaissances, après combien de déplacements pourra-t-on affirmer qu’une surface donnée est identique à elle-même ?

De toutes les critiques qu’on peut diriger contre les prétentions de la géométrie qui veut se dire générale, il n’en est pas de plus grave et de plus pénétrante. Comme nous le verrons dans la suite de ces études, la géométrie a pour objet les formes, et pour but leur description. Elle arrive à les décrire en les ramenant à un rapport de grandeurs. La géométrie analytique elle-même, ce moyen si puissant de description géométrique, ne repose que sur des rapports de coordonnées. La géométrie suppose donc constituée la science des grandeurs, et c’est sur elle qu’elle édifie la science des formes.

Pour cela, il lui faut — non pas comme on l’a dit, définir ce qu’est la terme, puisque cette définition est son but — mais admettre une première forme comme connue. Cette première forme, cette forme unité, si je puis ainsi parler, est la ligne droite : dans la ligne droite, la forme est déterminée uniquement par la grandeur, en d’autres termes, ce qui distingue une ligne droite d’une autre, c’est sa longueur.

Ce point admis, toutes les formes, depuis la plus simple, l’angle, par exemple, jusqu’aux plus compliquées, la marche de la lune autour du soleil, seront décrites au moyen de lignes droites plus ou moins longues et disposées d’une certaine manière, c’est-à-dire faisant entre elles certains angles. En un mot, dans la description des formes, il n’entrera d’autres éléments que des lignes droites, des angles et des nombres.

On comprend maintenant, sans que j’aie besoin d’insister davantage, sur quel solide fond de connaissances doit s’édifier la notion géométrique de déformation. Déforme-t-on un gant quand on le met ou qu’on le retourne ? est-elle déformée l’image réflétée par le miroir ? qui de ceux qui n’ont fait que leurs classes croira que, sur un cône, un angle quelconque peut se promener sans qu’il se déforme ? Combien même de mes lecteurs cette assertion ne révolte-elle pas ? Et pourtant rien de plus juste, du moment qu’on admet avec les métagéomètres qu’une surface ne se déforme pas quand on peut l’appliquer sur une autre surface sans duplicature ni déchirure. Et ils ont certes le droit de l’entendre ainsi ; mais on a aussi celui de juger que la notion de déformation ainsi entendue n’est pas intuitive, qu’on ne peut la mettre en tête des éléments, et que les raisonnements par lesquels on en tire des conséquences, pourraient bien n’être que des cercles vicieux.