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cette proposition ne pourra se démontrer qu’en supposant établie l’une de ces deux-ci : par un point C on ne peut mener qu’une parallèle à la droite AB ; ou bien — et nous retombons ainsi sur la définition que nous voulions remplacer — deux parallèles ne se rencontrent pas si loin qu’on les suppose prolongées.

Il y en a qui ont cru éviter le postulat en le regardant comme un corollaire du théorème sur la somme des angles du triangle[1]. En conséquence, ils se sont efforcés de démontrer ce théorème sans passer par la théorie des parallèles. Legendre a dépensé une somme énorme d’ingéniosité pour arriver à ce résultat[2], et, à certains égards, on peut dire qu’il l’a atteint, car, dans nos livres, d’autres propositions sont l’objet de démonstrations analogues sans qu’on en conteste la rigueur. Par malheur, comme je l’ai montré ailleurs[3], le postulatum n’est pas un corollaire de ce théorème, et je m’étonne que M. Renouvier tombe dans cette erreur[4]. Moi-même qui, en m’appuyant sur mes principes et la définition de la direction, démontre sans peine le théorème sur la somme des angles, je ne me suis pas cru quitte envers le postulatum[5].

D’autres encore se sont imaginé qu’en modifiant l’énoncé d’Euclide la difficulté serait évitée. C’est ainsi que M. Renouvier est, pour sa part, disposé à donner au postulat la forme suivante qui lui semble de beaucoup la meilleure de celles qui ont été proposées :

« Si un point se déplace sur un plan de manière à suivre le périmètre d’un polygone convexe fermé, d’ailleurs quelconque, lorsque ce point aura repris sa direction initiale, après avoir ainsi accompli d’angle en angle une révolution entière, la somme des quantités angulaires décrites dans cette révolution est égale à 4 angles droits.

« En d’autres termes, la somme des angles dits extérieurs de ce

  1. Qui ne s’est pas occupé du postulat et n’a pas prétendu le démontrer ? Taine lui-même (de l’Intelligence, liv. IV, chap. II, § II, V), en donne une démonstration — qui pourra contenter les gens du monde.
  2. Voir le mémoire de Legendre dans les Recueils de l’Institut de France, année 1833. Il est résumé et critiqué dans mes Prolégimènes, etc., p. 205 et suiv.
  3. Voir pour mon argumentation Prolégomènes, etc., p. 216 et suiv.
  4. Voir Année philosophique, 1892, p. 21. Tout récemment encore, M. J. Tannery m’envoyait une démonstration que je lui appris n’être autre que celle que Legendre a insérée dans la 4e édition de sa Géométrie. Si, dit-elle, par un point donné on pouvait mener deux parallèles à une droite donnée, ces deux parallèles laisseraient entre elles un angle, et il serait facile, au moyen d’une construction élémentaire, de trouver sur la droite donnée un point tel que la droite qui le relierait au point donné, passerait entre les deux parallèles supposées. Le défaut de cette démonstration c’est qu’elle part de l’hypothèse que deux droites ayant un point commun font nécessairement un angle fini. Après tout, l’angle que Lobatschewsky appelle angle de parallélisme — qui est l’angle formé par les droites limites du faisceau des non-sécantes — est un angle fini.
  5. Prolégomènes, etc., p. 235.