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Legendre et Euclide (ou du moins ses copistes) ne sont pas d’accord ni entre eux ni avec eux-mêmes, sur ce qu’il faut entendre par définition, axiome, théorème, demande. Legendre baptise axiome ce qu’Euclide appelle demande, c’est-à-dire théorème non démontré, et il appelle définition tel théorème sur la droite dont Euclide ne parle pas. Toute cette terminologie est à refondre. Pour le moment, ne parlons que des définitions.

Il y a deux espèces de définitions ; il y a des définitions qui créent la chose définie — telles sont la plupart des définitions géométriques ; il y en a qui se bornent à décrire l’objet, c’est-à-dire à donner des marques qui le font reconnaître, telles sont, par exemple, les définitions des planètes et des étoiles. Les unes et les autres doivent être adéquates, c’est-à-dire qu’elles doivent faire connaître le sujet et rien que le sujet.

En géométrie, elles satisfont à cette condition quand elles nous donnent le moyen de construire la figure, et par suite de nous la représenter. C’est ce que j’ai appelé une définition génétique[1]. Telle est la définition de la circonférence : « une ligne dont tous les points sont à une même distance d’un point fixe nommé centre. » Sans doute, au point de vue exclusivement logique, la circonférence, et la circonférence seule, possède, par exemple, l’attribut suivant: « courbe fermée où les cordes se coupent en parties inversement proportionnelles. » Mais au point de vue génétique cette marque ne vaut rien, parce qu’elle ne permet pas directement de construire la figure et de se la représenter. Pour cette raison, on ne définira pas le triangle un polygone dont la somme des angles intérieurs fait deux droits, ni le triangle rectangle celui où le carré construit sur l’un des côtés équivaut à la somme des carrés construits sur les deux autres. Ces définitions sont des théorèmes déguisés et donnent lieu à la question préalable : pareilles figures peuvent-elles exister[2] ? La possibilité de leur existence n’apparaît la plupart du temps qu’à la suite d’une démonstration.

Les géométries usuelles contiennent bon nombre de définitions de cette espèce. L’une des plus étonnantes est celle des triangles semblables : « des triangles qui ont leurs angles égaux et leurs côtés proportionnels. » On s’aperçoit bientôt que si l’on prend les côtés proportionnels, on n’est plus maître des angles, et inversement. Heureusement un théorème vient vous tirer de peine en établissant

  1. Prolégomènes de la géométrie, p. 93 et suiv.
  2. Il est bien remarquable qu’Euclide range au nombre des demandes la faculté « de décrire un cercle de tout centre et de tout rayon ». Ce postulat vient après les deux postulats sur le tracé de la ligne droite.