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faut énoncer en tête de l’exposé d’une nouvelle science, et le roc sur lequel elle s’édifie n’est pas souvent mis à nu du premier jour.

Ceci est particulièrement vrai de la géométrie. Ses prétendus principes, tels que les manuels les exposent, ne sont pas rationnels. La preuve de ce que j’avance n’est pas difficile à faire.

J’ouvre la première géométrie venue, celle de Legendre (15e édition) par exemple. Au haut de la première page on lit « Les Principes. Définitions. » Et il y a vingt définitions.

J’ouvre Euclide ; et dans Euclide, j’en vois trente-cinq.

Pourquoi vingt ? pourquoi trente-cinq ?

Dans Legendre, la première proposition est la suivante « La géométrie est une science qui a pour objet la mesure de l’étendue. L’étendue a trois dimensions, longueur, largeur et hauteur. » Est-ce là une définition de l’étendue  ? Passons.

La première proposition d’Euclide est que « le point n’a aucune partie ».

La première proposition de Legendre n’est pas dans Euclide ; la première proposition d’Euclide n’est pas dans Legendre. Singulière divergence.

Dans Euclide et dans Legendre, la deuxième définition porte que « la ligne est une longueur sans largeur ». Est-ce qu’une distance est une ligne ? Le temps, qui est plus ou moins long, est-il une ligne ?

Dans Legendre, la troisième définition est ainsi conçue « La ligne droite est le plus court chemin d’un point à un autre. »

Dans Euclide, la définition correspondante est la quatrième, et elle est ainsi conçue : « La ligne droite est celle qui est semblablement placée entre ses points. » Outre la différence des rédactions, remarquons que la proposition de Legendre sonne non pas comme une définition, mais comme un théorème sur les portions de droite.

La cinquième définition est, à peu de chose près, la même dans les deux auteurs : « Une surface est ce qui a longueur et largeur seulement. » Euclide ajoute (déf. 6) « Les extrémités d’une surface sont des lignes. » Où sont les extrémités d’une surface sphérique ? Le point n’est-il pas l’extrémité d’un cône ? Une surface non plane n’a-t-elle pas trois dimensions ?

La 12e définition de Legendre est la 35e d’Euclide « Les parallèles sont des droites, qui, situées dans le même plan, ne peuvent se rencontrer d’aucun côté, à quelque distance qu’on les prolonge[1] ».

  1. Ce n’est là ni la formule d’Euclide, ni celle de Legendre. Je n’ai vu aucun inconvénient à les modifier légèrement l’une et l’autre pour les identifier. Je prendrai encore à l’occasion pareille licence.