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prises en elles-mêmes. Aussi ce que l’on classe souvent, et ce qu’a lui-même classé souvent M. de la G., ce sont les objets connus plutôt que les sciences. Il est clair en effet que quand on distingue les sciences de la nature et celles de l’esprit, par exemple, on classe les objets et les phénomènes connus bien plutôt que les sciences elles-mêmes.

Enfin une critique fondamentale encore à adresser à toutes les classifications des sciences et à celle que propose en particulier M. de la G., c’est que ces classifications sont artificielles. M. de la G. semble bien faire allusion aux règles de la classification naturelle quand il parle de classer à tous les points de vue ; mais il ne s’agit jamais pour lui, comme pour ses prédécesseurs, que de points de vue extérieurs à la science : c’est comme si quelqu’un croyait avoir fait une classification naturelle de certains animaux parce qu’il les aurait regardés en se plaçant par rapport à eux dans toutes les positions possibles : sa classification serait encore artificielle, car il aurait négligé tous les organes internes. Il est manifeste d’ailleurs que certains des points de vue énumérés par M. de la G., peut-être même tous, sont extérieurs à la science : d’abord considérer, comme il le fait dans sa classification objective, l’objet connu et non pas le fait même de savoir, c’est considérer quelque chose qui n’a qu’un rapport lâche avec le fait de savoir ; puis s’occuper des milieux du temps et de l’espace, c’est encore évidemment s’en tenir à des caractères non essentiels de la science.

On pourrait adresser encore à M. de la G. un certain nombre de critiques de détail, par exemple lui faire remarquer que le parallélisme qu’il admet entre l’intelligence, le vrai et les sciences naturelles et exactes, la volonté, le bien et les sciences humaines, la sensibilité, le beau et les arts et lettres est un peu artificiel : la volonté, par exemple, peut poursuivre le vrai tout comme le bien. Il ne justifie pas suffisamment la distinction qu’il admet comme fondamentale des sciences de l’esprit et des sciences de la nature ; si l’on considère la psychologie actuelle, ne serait-il pas bien difficile parfois de la distinguer de la physique ou de la physiologie ? par exemple ne confine-t-elle pas à la physique dans l’étude des sensations de l’ouïe, de la vue ? n’existe-t-il pas une science qui s’appelle psychophysique ? La conception que se fait M. de la G. de la philosophie est trop influencée par celle des traités élémentaires français de philosophie, qui la considèrent comme un ensemble de quatre sciences, dont trois psychologiques, la psychologie, la logique et la morale, et une quatrième qui n’a aucun rapport étroit avec les précédentes, savoir la métaphysique, sorte de science du surnaturel. Cette conception de la philosophie tend aujourd’hui à disparaitre et à être remplacée par une autre beaucoup plus facile à défendre, suivant laquelle la philosophie n’a pas d’objet spécial, est une simple unification du savoir, un ensemble de généralisations plus compréhensives que celles des sciences spéciales, mais portant sur les mêmes objets.

B. Bourdon.