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droit égal à prendre part à la lutte et à faire triompher leurs intérêts ; et le résultat final de ce régime est d’engendrer le capital et la propriété, de détruire la liberté. Il est réservé à quelques forts de participer aux jouissances de la vie. L’immense majorité dès faibles reste dans la misère, et, ce qui contredit plus la pensée première et le principe de l’individualisme, sous une dépendance intolérable vis-à-vis des privilégiés » (p. 19).

L’individualisme considère la propriété individuelle comme un droit sacré, intangible, absolu ; or « il suffit d’un coup d’œil superficiel sur la question pour se rendre compte de la relativité du droit de propriété » (p. 33). En effet, si « dans les limites de notre organisation sociale actuelle, la propriété individuelle est fondée en droit et mérite d’être respectée, elle n’a ce caractère que dans les limites de cette organisation ». Par exemple « il y eut un temps où le sol était propriété collective ; ce temps peut revenir » (p. 33). Plus qu’aucun autre droit, le droit de propriété est corrélatif à un devoir. On prétend parfois l’ériger en droit absolu, sous prétexte qu’il n’est qu’une extension du droit de la personne. Mais aux yeux de l’auteur, cet argument se retourne contre ceux qui l’emploient. « La propriété n’est légitime et ne doit être maintenue qu’autant qu’elle persévère dans sa mission morale et sociale, qu’autant qu’elle reste fidèle à sa fonction qui est de favoriser la civilisation et non de l’entraver x (p. 36)., Tandis que l’individualisme ratifie un état social qui contredit son principe en sorte qu’ « au lieu d’individus et de personnes libres, il n’y a plus que des bras » (p. 21), le socialisme, son antithèse, prétend refaire la société, l’humanité tout entière, par le dehors « Créez un monde nouveau et une nouvelle humanité naîtra ». L’individualisme a entièrement négligé d’introduire dans le monde social la coordination et la différenciation qui lui sont nécessaires. Cette coordination et cette différenciation, le socialisme se propose de les réaliser. Mais jusqu’ici il ne peut être considéré que comme une utopie. Non seulement ses principaux apôtres proclament, comme Liebknecht au congrès de Halle, « qu’il faut être fou pour demander ce que sera l’organisation sociale dans le futur état socialiste )) (p. 37) ;-non seulement les écoles socialistes laissent sans réponse les plus graves questions, telles que celle de la libre consommation et celle du choix libre des professions, mais là n’est pas encore la plus grave-utopie. Elle consiste dans l’hypothèse d’un état social sans lien aucun avec celui qui l’a précédé. L’inintelligence de l’histoire, voilà le caractère fondamental de la théorie socialiste. « Par intelligence de l’histoire, dit l’auteur, je n’entends pas un respect aveugle et fanatique du passé ; j’entends l’intelligence de l’évolution continue suivant laquelle l’histoire accomplit sa marche. Une révolution ne triomphe que quand elle a été longuement et complètement préparée ; et même, le jour où elle triomphe, le monde ne se transforme pas tout d’un coup. Le passé subsiste encore et continue à agir sur le présent. Les formes sociales