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Lotze lui avait donnée. Puis un certain nombre de jeunes philosophes poussent à l’extrême les doctrines de leurs maîtres ; chez les uns, c’est un nouveau mysticisme qui pénètre jusque dans la psychologie, tandis que, chez d’autres, la théorie tend à produire son fruit le plus légitime, nous voulons dire le scepticisme. Il y a là, croyons-nous, à côté d’efforts très louables par leur but moral et religieux, comme par le talent de leurs auteurs, un véritable danger d’affaiblissement pour la philosophie. Le raffinement et la subtilité ne sont pas par eux-mêmes une force, pas plus en philosophie qu’en littérature ; il serait regrettable de voir un jour se produire, dans le domaine des idées, l’équivalent de l’art symboliste et décadent. Il en résulterait un discrédit croissant des études philosophiques, récemment menacées dans leur existence même au sein de l’Université.

Nous croyons donc utile de suivre ce nouvel abus de l’inconnaissable dans le développement à la fois logique et historique de ses conséquences. Le travail purement critique auquel nous allons nous livrer ne nous empêche pas de rendre justice à la haute valeur des philosophes qui ont cru devoir chercher des limites à la science au milieu même des objets qui constituent son domaine.

I

Apprécions d’abord d’une manière générale la prétention de faire jouer, dans la sphère des connaissances, un rôle déterminé à l’inconnaissable immanent.

La causalité est un lien des objets connaissables entre eux, mais elle ne peut être un lien de ces objets avec une chose inconnaissable. Il en est de même de tous les rapports connaissables entre objets ; aucun ne peut relier ces objets à un inconnaissable. Dès lors, tout pont est coupé d’avance entre les deux rives, dont la seconde demeure pour nous un simple problème, peut-être un mirage de la pensée. L’idée d’existence est la seule qui paraisse servir de trait d’union entre les deux mondes ; mais c’est sous la condition que cette idée reste indéterminée et désigne simplement une manière quelconque de n’être pas rien. C’est peu de chose, en supposant que ce soit quelque chose. Comment donc une semblable idée, si abstraite et si indéfinie, pourrait-elle trouver son emploi dans la sphère même des phénomènes ? L’y introduire, c’est prétendre établir des rapports déterminés entre telle chose connaissable déterminée et l’inconnaissable indéterminé ; comme si on disait, par exemple, que la foudre a telles raisons connues, plus d’autres raisons inconnues, plus des