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ANALYSES.a. regnard. Aryens et Sémites.

les deux des qualités et des vices des sociétés anciennes ou modernes forme une entreprise passablement hasardeuse. Le vice du procédé est manifeste dans les deux cas suivants.

Certaines qualités de la race maîtresse, selon M. R., font défaut aux Romains, la faculté esthétique et l’aptitude scientifique, par exemple ; ils sont cruels, leur religion sombre et puérile est presque entièrement « désaryanisée ». Il se demande donc si l’on n’a pas à compter ici avec un élément étranger, surajouté à l’ensemble décidément aryen, et il le découvre dans la nationalité étrusque, qu’il rattache du même coup à la famille touranienne, tranchant ainsi une des questions difficiles de l’ethnologie en faveur et à l’appui de son hypothèse.

En présence de l’art du moyen âge, il ne déguise pas son aversion. I ! lui suffit que la doctrine chrétienne reste imprégnée d’éléments sémitiques, pour condamner l’art chrétien, où il n’est pas difficile pourtant de reconnaître l’imagination aryenne et le génie de notre race, et dont on ne peut guère nier la nouveauté qu’en puisant son jugement sur le beau dans une idée préconçue.

Une autre opinion assez étrange de M. R., et qui a lieu d’étonner chez un médecin, apporte un commentaire imprévu à celle des thèses de Lombroso qui est certainement la moins solide. Les races des hautes époques n’auraient laissé, selon lui, « d’autres traces parmi nous, que les misérables criminels-nés ou héréditaires, chez lesquels on peut aujourd’hui constater les tristes effets d’un aussi déplorable atavisme ». Le grand ancêtre de Cro-Magnon est-il donc si méprisable, que M. R. ne l’avoue point sans rougir ? Il l’écarte de son chemin, et prouve la pureté de notre race par un argument compromettant, si je ne me trompe, inutile au moins.

Ses raisons, j’ai regret de le lui dire, ne sont pas toujours recevables ; il fait preuve, ici et là, de ferveur critique, plutôt que de sens critique. Sa foi socialiste avive encore dans son cœur la haine du « juif » [1]. Il rend les banquiers juifs responsables du capitalisme, comme d’autres accusent les marchands anglais d’avoir créé l’industrialisme. Peut-être suffirait-il de dire que les uns et les autres ont profité et abusé d’un régime qu’ils n’ont pu produire à eux tout seuls. Car enfin, ce qu’on y aperçoit d’abord, c’est un fait économique, la création de la valeur mobilière, et un fait scientifique, l’invention de la machine à vapeur. Mais l’influence prépondérante qu’il accorde au facteur ethnique empêche M. R., semble-t-il, d’en accepter aucun autre. Il compromet sa thèse, en un mot, parce qu’il ne la resserre pas suffisamment, et qu’il cherche, à son insu, dans un point de vue particulier, la loi explicative générale de l’histoire.

Un mot encore. Son livre est écrit dans un esprit militant. Quelle

  1. Cette haine, il l’étend aussi aux anthropologistes, aux linguistes qui lui paraissent suspects de sémitisme. Couture lui-même reçoit un mauvais compliment pour avoir peint la Décadence romane.