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exercices intérieurs de l’homme ont aussi des genres : il y passe de la douce oisiveté, impliquant l’égression au delà de toutes choses jusqu’en leur vide, au désir, et du désir à un état actif, où il opère l’ « introversion », activement et en jouissant. Il arrive enfin à la vie contemplative. L’esprit devient mort à lui-même ; l’amant contemplateur « se voit et se sent la même lumière par laquelle il voit, et rien d’autre ».

Mais il faut noter encore un caractère essentiel. Pour le mystique chrétien, et peut-être pour tous les mystiques, l’intelligence n’est qu’amour ; aimer, c’est comprendre. Une des vertus de la vie commençante, pour notre moine, c’est la sobriété, celle du corps et celle de l’âme. Pour le corps, que l’homme, dit-il, mange et boive comme un malade prend une potion. Pour l’esprit, ne cherchez pas à comprendre ce que Dieu est, vous deviendriez fous ; cherchez-le « selon la vie du Christ » : l’intelligence n’atteint pas Dieu, « mais là où l’intelligences reste dehors, entrent l’amour et le désir ». Et remarquez-le ! ces noces spirituelles que mérite l’homme sage, ce sont les noces charnelles sans la chair, purifiées et vidées de leur contenu grossier. Les paroles mêmes qui en expriment la sublime émotion sont tout humaines : c’est le coup de foudre, l’unité du cœur qui enlace le corps et l’âme, l’intimité avec ses tourments, la gratitude qui ne sait pas compter, l’orgueil d’être plus heureux qu’autrui, l’ébullition de l’âme qui fait qu’elle retombe sur soi et que son feu se ranime et brûle éternellement, la volupté, la liquéfaction du cœur, l’ivresse divine où l’on chante, pleure, trépigne, gesticule, ou se tait, l’avalement de l’un en l’autre, réciproquement et toujours, le suprême repos et l’enveloppement jouissant de l’immersion amoureuse.

Ainsi la créature qui s’élève vers Dieu répète les moments du plaisir d’amour ; mais elle monte, parce qu’elle a tué en elle la chair, résorbé le sang, qu’elle a porté l’appétit dans le cerveau et transfiguré l’objet de son adoration. Par une maîtrise longue et patiente du désir, par une dérivation savante de l’influx nerveux, elle a conquis le pouvoir d’aller jusqu’au delà de l’extase et de s’y maintenir quelques instants sans que la machine craque et se rompe de toutes parts. Le mystique pense exciter son intelligence en s’abîmant dans la sensibilité ; il a l’illusion de comprendre parce qu’il s’anéantit.

Lucien Arréat.

A. Regnard. Aryens et sémites. Le Bilan du Judaïsme et du Christianisme, t.  I. (Paris, Dentu, 1890.)

Il y a beaucoup d’érudition dans l’ouvrage de M. Regnard, mais aussi beaucoup de passion. Je lui donne raison bien volontiers sur plusieurs des points particuliers qu’il a voulu établir. Mais sa thèse des deux races me paraît décidément trop simpliste pour nous expliquer toute l’histoire. Si réelle que soit la conception du Sémite et de l’Aryen, et tout supérieur que l’un de ces types demeure à l’autre, le départ entre