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ANALYSES.m. maeterlinck. Ornement des noces, etc.

M. Maeterlinck offre au public français la traduction de cet écrit mystique, l’une des nombreuses œuvres d’un moine flamand, qui serait né en 1274 et mort en 1381. « Si j’ai traduit ceci, nous dit-il, c’est uniquement parce que je crois que les écrits des mystiques sont les plus purs diamants du prodigieux trésor de l’humanité ; bien qu’une traduction soit peut-être inutile, car l’expérience semble prouver qu’il importe assez peu que le mystère de l’incarnation d’une pensée s’accomplisse dans la lumière ou dans les ténèbres, il suffit qu’il ait eu lieu. Mais, quoi qu’il en puisse être, les vérités mystiques ont sur les vérités ordinaires un privilège étrange ; elles ne peuvent ni vieillir ni mourir… Elles ont l’immunité des anges de Swedenborg qui avancent continuellement vers le printemps de leur jeunesse. Une œuvre ne vieillit qu’en proportion de son antimysticisme ; et c’est pourquoi ce livre ne porte aucune date. »

L’introduction est intéressante, et la traduction remarquable, autant qu’on peut juger d’un pareil travail sans avoir le texte sous les yeux. M. M. a l’esprit qu’il y fallait, et il s’est créé une langue appropriée à son sujet, une langue riche de mots sonores et d’accords mystérieux, que l’on peut entendre quand on ne la comprend pas.

Les mystiques ne sont pas pour nous, bien entendu, ce qu’ils sont pour lui. Nous les acceptons comme les témoins curieux d’un état d’âme dont l’histoire révèle les conditions, comme des monstres psychologiques extrêmement instructifs. M. Ribot a montré déjà, par l’analyse du Château intérieur de sainte Thérèse, l’usage qu’on peut faire de cette espèce de documents pour bien comprendre la marche ascendante de l’esprit vers l’unité absolue de la conscience. Il est probable qu’on retirerait le même profit de quelques ouvrages de Ruysbroeck l’Admirable, tels que le Livre des sept degrés de l’amour spirituel ou le Livre des sept châteaux[1]. Dans celui qui nous est offert, on remarquera la gradation des exercices à suivre pour arriver à réaliser l’union de l’âme avec Christ, son divin époux.

« Voyez, l’époux arrive, sortez à sa rencontre. » C’est là le texte illustré et commenté par le moine de la forêt brabançonne. Trois degrés conduisent à l’achèvement des noces spirituelles : il y a la vie commençante, la vie élevée et désirante, la vie superessentielle et contemplative. Dès que l’homme s’est entraîné par les vertus et la prière, il devient voyant ; les conditions particulières de ce nouvel état sont la grâce, un dépouillement des images étrangères et une dénudation du cœur, une conversion libre de la volonté au moyen de la concentration de toutes les forces qu’on porte en soi. Alors vient l’époux il nous pousse et attire vers le ciel, puis il flue en nous, et nous sentons son attouchement interne. Ces trois venues de Notre-Seigneur ont des modes, qui sont marqués par l’émotion ressentie. Les

  1. La constante préoccupation du nombre sept ne s’accorde que par hasard avec la vérité de l’observation intérieure ; elle en est du moins un élément qu’on ne doit pas négliger.