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tant ces impressions et en réagissant sur elles, elle se perçoit elle-même par la conscience ; de là une nouvelle source de connaissances qui nous révèle tous les faits du monde intérieur. Ces premières idées sont cependant, par elles-mêmes, inexplicables et inintelligibles, parce que les existences qu’elles nous font connaître sont toutes dépendantes, relatives et précaires. Il faut qu’une faculté supérieure, la raison, vienne consolider ces notions ; elle le fait en nous fournissant l’idée d’être qui la constitue tout entière, car ce que nous appelons les principes de la raison, les idées universelles et nécessaires, ne sont que les attributs essentiels de l’être. En saisissant la notion d’être nous atteignons du même coup celles qui en dérivent et qu’elle implique, comme les idées de temps et d’espace, de vrai, de bien et de beau. Néanmoins les sens contribuent pour leur part à la formation de nos idées ; c’est à l’occasion de leurs données que la raison se porte vers l’absolu. Les sens ont encore une autre fonction de second ordre, celle de fixer les idées par les signes du langage et d’en conserver les traces dans le cerveau. À l’aide de ces principes on explique la formation de nos idées relatives, idées concrètes, abstraites, particulières, générales ; on voit naître la pensée par l’aperception des rapports entre les idées et les jugements de notre esprit sur ces rapports. Enfin « des problèmes qui, pour d’autres doctrines, semblent insurmontables, trouvent ici une solution naturelle et aisée.

« On sait comment le passage de l’être à l’idée, ou inversement, celui de l’idée à l’être ont embarrassé Kant et Hegel ; quelles discussions, interminables et de plus en plus obscures, ces difficultés ont fait naître parmi leurs disciples.

« Le passage de l’être à l’idée, c’est la connaissance. Le passage de l’idée à l’être, c’est la création (p. 301).

La conclusion de l’ouvrage consiste dans le développement de ces deux derniers points. L’auteur estime que cette théorie de la pensée donne « satisfaction à notre entendement car d’abord elle s’accorde avec les lois de notre esprit, et ne s’appuie que sur une observation psychologique rigoureuse… Elle se conforme aux données des sens à celles de la conscience, à celles de la raison. »

Ce travail n’est qu’une préparation à l’étude de l’immatériel, que M. Belhache se propose de publier plus tard. Nous espérons y trouver une interprétation satisfaisante du livre que nous venons d’analyser ; car, malgré les substances, les facultés et les principes que l’auteur a multipliés, peut-être præter necessitatem, nous ne pouvons, avec la meilleure volonté, trouver dans cet ouvrage les solutions et la satisfaction de l’entendement qu’il nous avait promises.

G. Rodier.

Maurice Maeterlinck. L’ornement des noces spirituelles, de Ruysbroeck l’admirable, traduit du flamand et accompagné d’une introduction. (Bruxelles, Lacombez, 1891.)